Il y a quelques jours, des observateurs croyaient que le froid entre Alger et Paris était passager. Comme un brouillard de printemps. On a même pensé dans les milieux diplomatiques parisiens que les deux pays cherchaient à apaiser les esprits. Le quotidien Le Monde a même cru déceler une fièvre qui retombait entre Alger et Paris. « La volonté du Pouvoir algérien de dédramatiser les choses est perceptible », a-t-il écrit. Mohamed Bedjaoui, ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères, a parlé, dans un premier temps, et à partir de Paris, de la « surprise » suscitée par le vote par l'Assemblée nationale française d'une loi glorifiant les « bienfaits » de la colonisation. Dans un second temps, il a eu ces propos, lors d'une conférence à Djenane El Mithaq, à Alger : « Il ne faut pas jeter de l'huile sur le feu. » Le procès du colonialisme n'a pas attendu 2005. Le colonialisme est déjà condamné et condamnable. » Et il rassuré sur la signature, prévue au cours de cette année, d'un traité d'amitié entre les deux pays. « Un traité d'amitié viendra prochainement (...) sceller la réconciliation entre les deux peuples (...). L'Algérie et la France ont connu des affrontements et des épreuves douloureuses dans leur histoire mêlée, dont certaines fractures et séquelles subsistent encore », a-t-il dit. Mohamed Bedjaoui a tenté, visiblement, de limiter l'ampleur d'une polémique née depuis début mai 2005. Après les déclarations de Abdelaziz Bouteflika à la faveur du 50e anniversaire des massacres de 1945. Il avait fait un parallèle entre les fours à chaux de Guelma et les fours crématoires de l'époque nazie. Cela avait conduit le ministère français des Affaires étrangères à réagir et à appeler à élaborer des relations « dans le respect mutuel ». Quelques jours après, le FLN se mêlait du débat et dénonce la loi du 23 février, « texte qui consacre une vision rétrograde de l'histoire ». « Nous n'avons pas compris qu'au moment où l'on parle de refondation des relations (...), la majorité parlementaire française dépose une proposition de loi portant sur les rapatriés et l'adopte. S'ils veulent réhabiliter une partie des Français, libres à eux, mais de là à dire qu'il y a des aspects positifs dans la colonisation, c'est là où nous leur disons qu'ils ont falsifié l'histoire (...). Au lieu d'aller vers la repentance, au lieu d'aller vers une plus grande sérénité dans la relation algéro-française (...), on nous ressert ce qui a été un crime sous une forme positive », a déclaré Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du FLN, dans une interview à Liberté. Hubert Colin de Verdière, ambassadeur de France à Alger, a rencontré, ensuite, le secrétaire général du FLN et a parlé d'un loi relative à « la présence de la France en Afrique du Nord » qui « rendait hommage à ceux qui ont choisi alors la France, c'est-à-dire les harkis et les pieds-noirs ». Le diplomate a dit qu'il n'existait pas d'histoire officielle en France. Même propos de Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères et tête de liste, avec Jean Léonetti, des députés à avoir proposé cette loi controversée. « Il n'y a jamais eu en France d'histoire officielle, il n'y en aura jamais », a-t-il déclaré au quotidien Le Monde, avant d'appeler les historiens des deux pays à « mener par eux-mêmes et en commun le travail de mémoire ». « Il y a, en France, une mémoire des souffrances, mais aussi une mémoire de tout ce que des générations de Français d'Algérie ont pu accomplir dans ce pays aux côtés du peuple algérien. Ce texte ne visait rien que cela », a-t-il dit. Cela n'a pas arrêté les critiques algériennes de ce « texte ». L'Organisation nationale des moudjahidine (ONM) de reprendre les propos du FLN et de dénoncer le « révisionnisme » historique. La polémique a pris d'autres couleurs avec la volonté d'une association inconnue d'ériger une stèle à « la mémoire de l'OAS » à Marignane, au sud de la France. Cela dit, des milieux français, y compris les cercles médiatiques, s'étaient interrogés sur « la brusque et tardive » réaction des Algériens par rapport à une loi votée par l'Assemblée française fin février 2005. D'autres ont tenté de mettre tout cela dans « le paquet », prêt à l'emballage, des relations passionnelles entre les deux pays. Mais voilà, les choses évoluent dans un autre sens, plus compliqué. Hier, le président de la République, dans un discours prononcé à Tlemcen, a déclaré, repris par l'APS, que pour le société algérienne, « la colonisation française a été massivement une entreprise de dé-civilisation ». « Aussi est-il difficile de ne pas être révolté par la loi votée par le Parlement français, le 23 février dernier, et qui représente une cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme », a-t-il relevé devant les participants à une journée de commémoration du 50e anniversaire de la création de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA). Selon Bouteflika, il faudra « beaucoup de temps » pour que la société française « se réconcilie avec sa propre histoire » et « apprenne à respecter les civilisations des autres peuples ». « Si notre pays est prêt à signer avec l'Etat français un traité de paix et d'amitié sur la base de l'égalité des nations (...), il ne saurait en aucun cas cautionner, même par son silence, une prétendue mission civilisatrice du colonialisme, qui reste pour nous (...) l'un des plus grands crimes contre l'humanité que l'histoire a connus »,a ajouté le chef de l'Etat. Appuyant sa critique, l'une des plus dures à l'égard de la France depuis son arrivée au pouvoir, Bouteflika a appelé la société française à « se libérer des relents d'un passé attentatoire à la dignité humaine » et qui se manifeste « comme le fantasme d'une puissance perdue ». C'est évident : les relations entre Alger et Paris viennent d'entrer dans une zone de turbulence. La perspective de signature du traité d'amitié, tant chantée depuis des mois, apparaît comme invisible. A moins que l'été « refroidisse » les esprits.