Le déplacement en force des inspecteurs des impôts au niveau du complexe sidérurgique d'El Hadjar a attiré l'attention sur des irrégularités commises dans la gestion de ce dernier. Ils avaient pour mission de vérifier minutieusement des documents liés aux activités du groupe indien Mittal Steel. En réaction et dans une tentative d'anticiper un éventuel scandale, ces faits ont poussé le directeur commercial, de nationalité indienne, de Mittal Steel El Hadjar à la démission, le 15 juin 2005. Ses responsables avaient été alertés par des informations portant sur l'ouverture d'un compte bancaire qu'il aurait effectué en Tunisie. L'opération coïncidait avec la constitution d'un réseau algérien de faussaires. Ce dernier s'est spécialisé dans l'établissement de faux registres du commerce et de fausses attestations de franchise fiscale au profit de vrais-faux exportateurs et opérateurs économiques. Elle avait été précédée par l'interpellation, l'arrestation et la condamnation de treize faux opérateurs économiques gérants de sociétés écrans, celles de quatre agents de sécurité, d'un responsable de la sécurité et d'un transporteur, tous impliqués dans une tentative de vol de déchets ferreux. « Je ne peux rien dire sur notre directeur commercial qui a effectivement démissionné. Je confirme, cependant, que des agents ont été sévèrement sanctionnés pour avoir tenté de détourner des déchets ferreux. Effectivement, nous avons été vérifiés par des représentants des impôts. Nous avons tout mis à leur disposition. Jusqu'à preuve du contraire, nous sommes en règle. L'enquête se poursuit toujours pour situer d'autres responsabilités dans la situation anormale relevée », a indiqué Sandjay Kumar, président-directeur général de Mittal Steel El Hadjar. A la direction des impôts de la wilaya, les mouvements anormaux d'argent ont été confirmés. Il est précisé que ces mouvements en liquidités et quotidiens sont très importants. Se chiffrant à plusieurs centaines de millions de dinars, ils étaient versés dans le compte bancaire de Mittal Steel à la banque implantée dans l'enceinte de l'usine pour le paiement de produits sidérurgiques. « Nous avons été intrigués par d'importants mouvements d'argent dans l'exportation de déchets et produits ferreux. Des pseudo-exportateurs ont engrangé des centaines de milliards qu'ils destinent pour le paiement de leurs acquisitions de produits sidérurgiques à Mittal Steel. Ils ont été dans l'incapacité de justifier de la provenance de cet argent. Actuellement, dix neuf de ces exportateurs sont ciblés par nos services. Ils sont à l'origine d'un préjudice au Trésor public qui s'élève à 370 millions de dinars », note M. Messikh, directeur des impôts de la wilaya de Annaba. Ce même responsable n'a pas incriminé les responsables indiens de Mittal Steel dans cette nouvelle affaire de fraude fiscale. Des sources proches des services des douanes ont affirmé que les sidérurgistes indiens d'El Hadjar auraient sciemment commis des faux pas dans l'exportation des « déchets ferreux » et dans d'autres transactions douteuses préjudiciables au Trésor public algérien. Des premiers éléments de l'enquête diligentée par les services des impôts, il ressort que la gabegie conjuguée à l'escroquerie fiscale se sont transformés en pratique quotidienne. Elle est vécue par les agents en faction au niveau des postes de garde et par les clients n'ayant pas montré « patte blanche » pour être approvisionnés en produits sidérurgiques. Sur les quais du port de Annaba et aux postes frontaliers terrestres avec la Tunisie et le Maroc, la fausse attestation d'achat en franchise, le faux registre du commerce et la fausse déclaration des douanes pour les exportations des déchets ferreux et de l'acier de Mittal Steel sont un secret de Polichinelle. Ces faux documents et la complicité des transporteurs, convertis dans le trafic à l'import/export, permettaient des acquisitions d'acier exonérées de tout impôt. En prévision de son exportation, ce même acier de qualité est déclaré déchets ferreux. L'enquête des services fiscaux devrait mettre à jour la véritable ampleur de l'escroquerie opérée par des sociétés écrans algériennes, tunisiennes, marocaines et autres plateformes, idéales plaques tournantes de tout le trafic des produits sidérurgiques et des déchets ferreux. Les sociétés tunisiennes PAF, SNC, celles marocaines Atlas, Maghreb, entres autres, sont portées sur les listes des clients attitrés de la société indienne. Les premières conclusions de l'enquête portent sur des vérifications des activités (production, commercialisation, exportations) de Mittal Steel depuis son installation à El Hadjar en 2001 à ce jour. Achevées le 29 juin, elles font ressortir d'innombrables anomalies. « La majorité des attestations d'achat en franchise présentées à Mittal Steel sont des doubles alors que la présentation des originaux est obligatoire. Des dossiers clients détenus notamment par le point de vente de Skikda sont incomplets. Le faux et l'usage du faux en matière d'attestations d'achat en franchise sont flagrants autant que l'utilisation de celles prévues pour les achats des équipements en franchise destinés dans le cadre des investissements ANSEJ et ANDI. Les contrôleurs ont également relevé des dépassements sur le quota relatif au contingent annuel alloué », a affirmé M. Messikh. Le réseau de faussaires a étendu son trafic à l'établissement de factures hors taxes. Elles sont établies par Mittal Steel au profit de clients sensés bénéficier de cet avantage. Ce qui n'était pas le cas. Une grande partie du chiffre d'affaires déclaré en exonérer n'est pas justifié. Est relevée également, l'utilisation de contingents annuels ne correspondant pas à l'année durant laquelle les achats et les exportations ont été effectués. L'usage d'attestations de franchise scannées ou comportant un faux cachet de l'administration fiscale est une autre anomalie constatée par les enquêteurs. Leur gravité notamment dans la gestion commerciale et la comptabilité de Mittal Steel n'a pas échappé à ces enquêteurs. Ces derniers ont été unanimes à relever qu'à Mittal Steel, le laisser-aller dans le contrôle et le suivi des achats en franchise est manifeste. A eux seuls, deux opérateurs détenteurs de vrais-faux registres du commerce et fausses attestations de franchise fiscale ont effectué d'importants achats. Sans que cela n'alerte l'institution bancaire et les services de sécurité. L'un et l'autre de ces pseudos exportateurs ont payé cash 520 et 460 millions de dinars. Tous deux représentent presque la totalité des recouvrements mensuels effectués par la direction des impôts pour une population fiscale de 28 000 contribuables entre personnes physiques et morales. « Nous avons demandé aux responsables indiens de nous fournir les dossiers clients pour nous assurer de l'authenticité des documents présentés, tels le matricule fiscal, le registre du commerce, l'attestation de franchise fiscale, l'extrait de rôle. L'affluence vers ce créneau d'exportation des déchets et produits ferreux d'opérateurs hors wilaya, pour la plupart des régions de Oum El Bouaghi, Batna et Constantine, nous a incités à lancer nos investigations », a soutenu M. Messikh. Lors de la vérification des comptes du groupe indien d'El Hadjar, les inspecteurs des impôts ont constaté que ce groupe ne s'est pas acquitté de la taxe sur l'apprentissage de 2001 à 2005, qui s'élève à 180 millions de dinars. Tous ces faits ont été dévoilés à la veille de la mise en application des nouvelles dispositions induites par la loi de finances complémentaire de 2005. Ces dispositions prévoient le renforcement du dispositif de lutte contre la fraude fiscale. Il est prévu, entre autres, l'application de lourdes amendes pour les versements et les paiements en espèces dépassant un certain seuil. Ils ont été dévoilés quelques semaines après la mise à jour par les services de police d'un trafic de fausses attestations de franchise fiscale et de contingent au niveau de la daïra de Berrahal (Annaba). Cette affaire avait été suivie par celle révélée par la gendarmerie portant sur le détournement de produits ferreux issus du crassier du complexe sidérurgique d'El Hadjar. Actuellement, policiers et gendarmes poursuivent leurs investigations avec pour objectif de mettre d'autres complicités sous les projecteurs. Une dizaine de personnes avaient été interpellées dont quatre placées sous contrôle judiciaire pour faux, usage de faux et escroquerie aux impôts. Une affaire similaire a été récemment révélée portant sur l'implication avérée de deux représentants de sociétés privées ayant utilisé des imprimés de franchise fiscale et de contingent scannés tout autant que la griffe, la signature et le cachet de l'administration fiscale. L'enquête en charge de la brigade économique de la police judiciaire se poursuit toujours. Elle a déjà entraîné l'interpellation des deux utilisateurs de ces imprimés qui sont restés muets sur les bénéficiaires et les éventuelles complicités dont ils auraient bénéficié. Des premiers et des seconds, la brigade financière en aurait identifié plusieurs. Tous se seraient enrichis de l'équivalent en taxes de centaines de millions de dinars. Cette affaire de produits de crassier détournés du complexe Mittal Steel a mis également à jour des complicités actives et passives à tous les niveaux de la gestion commerciale des produits sidérurgiques et des déchets ferreux. D'importantes commissions sur des ventes et achats ont été versées. Elles avaient été enregistrées sur la base de procuration et de registre du commerce en « bois » ou par une manipulation des chiffres des stocks en dépôt au caissier. Des bons d'enlèvement et de sorties factices étaient contresignés à chaque fois que de besoin au niveau du poste de garde. Ces derniers mois, le déballage se poursuit toujours dans les locaux des services de sécurité à Annaba. Ne tirant guère les enseignements de l'affaire des exportateurs des déchets ferreux et des faux importateurs qui avaient récemment empoisonné la place économique nationale, les faux commerçants de produits sidérurgiques d'El Hadjar ont fourni peu d'explications pour lever tous les doutes sur leurs pratiques. Si bien que d'autres personnes, dont des cadres et des fonctionnaires, ne sont plus insoupçonnables. Toutes les affaires brassées avec succès par Mittal Steel à El Hadjar et Ouenza ont eu des prolongements. Fort de ses bonnes relations avec les plus hauts responsables algériens et avec la bénédiction empressée du syndicat, Mittal Steel produisait, rebutait et exportait vite et bien. Un simple jeu d'écritures sur des factures permettait à des intermédiaires algériens, tunisiens et marocains de percevoir des commissions de plusieurs dizaines de millions de dinars. Selon des sources crédibles, la société Mittal Steel accaparerait toutes les cargaisons de déchets ferreux exportées d'Algérie pour alimenter à très bas prix ses usines implantées à travers le monde. « Les produits exportés ne sont pas des déchets ferreux. Les produits cédés à bas prix aux exportateurs sont déclassés. Ils prennent la destination de divers pays européens où ils sont rétrocédés à leurs coûts réels. La victime n'est autre que le Trésor public algérien », a indiqué un cadre en poste à la direction commerciale du complexe sidérurgique Mittal Steel El Hadjar. Situation que dément son président-directeur général indien. Il a affirmé : « Nous n'avons pas besoin de faire dans l'illégalité pour permettre à nos usines à travers le monde d'acquérir ce dont elles ont besoin en fonction des cours en bourse. » Visé par des interrogations sur certaines pratiques délictueuses commises par quelques cadres de sa société, M. Sandjay est resté de marbre. Dans ces pratiques, il est question de blanchiment d'argent. « Les expéditions que nous réalisons pour le compte de nos clients tunisiens n'impliquent pas des transporteurs algériens. Nous allons enquêter pour situer les responsabilités dans les faits qui nous sont rapportés en matière de détournement. Nous n'écartons pas l'éventualité de l'existence de pareille pratique et nous allons prendre toutes les dispositions utiles pour vérifier dans les jours qui viennent », a estimé M. Sandjay, qui a affirmé improbable toute implication du directeur commercial indien, démissionnaire dans une affaire de blanchiment d'argent. A. Djabali , N. Benouaret