Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement auquel on a attribué l'avènement du multipartisme, a éludé, hier au Centre international de presse à Alger, la question insistante des journalistes relative à l'appréciation qu'il fait du projet de « Charte pour la paix et la réconciliation nationale », proposé par le président Bouteflika à référendum le 29 septembre prochain. Invité par le FFS, à l'occasion de la commémoration du double anniversaire de la Journée du moudjahid et du Congrès de la Soummam, pour animer une conférence-débat sous le thème « Le Congrès de la Soummam et la problématique de la représentativité politique et sociale », M. Hamrouche a, implicitement, refusé de se prononcer sur l'initiative du président de la République, même s'il n'est visiblement pas en harmonie avec ceux qui disent que ce projet a bénéficié de l'adhésion de toutes les forces politiques, sinon la majorité. Ayant une vision fondamentalement contre l'ordre établi et, nécessairement, contre le projet de réconciliation nationale - même s'il ne l'affiche pas clairement -, le conférencier a tenté de se distinguer des autres en invitant l'assistance à faire la différence entre « les gens qui veulent faire sortir le pays de la crise et ceux qui se disputent dans la masse du pouvoir. Je suis de ceux qui refusent d'activer à l'intérieur de la masse parce que c'est une prime qu'on donne au système actuel ». Il estime que l'Algérie n'a pas d'alternative politique. « Elle est devant une impasse », souligne-t-il. M. Hamrouche n'a pas ménagé ses efforts pour dénoncer le mode de gouvernance et les pratiques politiques mises en vogue aujourd'hui. « Nous sommes revenus à l'archaïsme d'hier », précise-t-il, celui qui renferme « la société dans les carcans de l'ordre établi ». Il trouve que le pays recule en arrière au lieu d'avancer. Pourquoi ? « Lorsqu'on est confronté à un problème ou à une situation qu'on n'arrive pas à comprendre, il faut interroger l'histoire », suggère-t-il. Candidat à la présidentielle de 1999 et ayant refusé de se présenter en 2004, M. Hamrouche revient longuement sur le congrès de la Soummam et la structuration de la société opérée par Abane Ramdane pour mieux expliquer le présent politique. En restituant le contexte de l'époque, M. Hamrouche retient deux principaux points : « Le déclenchement de la lutte armée constituait une rupture avec l'ordre colonial. Le congrès de la Soummam avait consacré cette rupture d'une manière définitive. » Il précise que la création du FLN n'était pas due aux problèmes qui existaient au sein des partis politiques auxquels l'ordre colonial avait octroyé la représentativité des Algériens. Mais ce qui a conduit à la Révolution « c'était plutôt l'impasse de l'ordre colonial », note-t-il. Evoquant les procédés de l'administration coloniale qui optait pour le système de cooptation et de désignation, utilisait la fraude électorale et manipulait la pseudoreprésentativité du peuple, procédés qui poussaient parfois à l'extrémisme, M. Hamrouche reconnaît que les hommes aujourd'hui au Pouvoir ont « reconduit les mêmes pratiques ». Contestant le fait que certains Algériens présentaient Abane Ramdane comme « un chef autoritaire », le conférencier le défend énergiquement, car il avait pu organiser, pour la première fois, la société et structurer la Révolution en réussissant à lui donner « une dimension plus grande et plus ambitieuse ». Le conférencier ne cache pas que « certains de ses (Abane) camarades ont été contre sa démarche politique ». D'ailleurs, il a été condamné et exécuté « par les siens ». Toutefois, « cela n'a pas empêché l'ère Abane de continuer », précise-t-il. Et à travers les textes qu'il a produits, Abane avait pu « libérer la société des carcans et des archaïsmes qui existaient à l'époque ». Il avait défini « le type d'Etat que l'Algérie doit avoir », explique le conférencier, à savoir que l'Etat ne peut être que le reflet de la société. Suivant la philosophie de Abane, M. Hamrouche estime que « seule une société libre est en mesure de construire un Etat fort, capable de protéger et de défendre les libertés de ses citoyens ». Un Etat qui n'impose pas de projet et qui donne le libre choix à la société de changer ce dont elle ne veut plus. Selon lui, le rôle d'un Etat au pouvoir légitime (issu de la volonté du peuple) est d'assurer l'équilibre entre les plus forts et les plus faibles. Pour lui, les citoyens ne sont pas égaux dans l'exercice des libertés, si nécessaire pour la fondation d'un Etat fort. En l'absence de la liberté de la presse, de parole, d'activités politique et syndicale libres, le Pouvoir a, aux yeux du conférencier, fermé la voie à l'émergence de toute sorte d'initiative à même de contribuer à transcender la crise. Il considère que « les projets de société conduits par des despotes ont échoué. Il n'y a aucun développement économique, social ou culturel. Le pays est en totale régression mentale ». M. Hamrouche trouve que « le choix venu d'en haut » d'aller directement, après les événements de 1988, au multipartisme était une erreur stratégique qui a engendré la crise ayant secoué l'Algérie pendant la dernière décennie. « Il n'a jamais été question alors d'aller au multipartisme. En tant que chef du gouvernement de l'époque, j'avais une autre perception, à savoir celle de faire émerger au sein du FLN les différentes sensibilités ancrées dans la société. Et la création des partis n'aurait été que le prolongement de ces sensibilités. Mais, certains partis ont vu le jour avant même que la Constitution de février 1989 ne soit née », soutient-il, avant d'ajouter que « l'ordre établi en a décidé autrement en octroyant la représentativité de la société aux partis et aux élites politiques ». Il explique que s'il a drivé, à l'époque, le gouvernement et accepté qu'une idée autre que la sienne soit adoptée, c'est parce qu'il croyait que ces partis allaient créer un jeu démocratique. Or, cela n'a pas été le cas. Le Pouvoir est basé sur « un certain nombre de réseaux d'allégeance et de soutien qui fixent les missions de l'Etat », observe-t-il. Ceux-ci ont érodé la légitimité de l'Etat au point de le fragiliser. Pour étayer ses propos, M. Hamrouche a rappelé l'aveu du président Bouteflika le 24 février dernier, au Palais du peuple (siège de l'UGTA) à Alger, en reconnaissant que la loi sur les hydrocarbures a été dictée par les puissances étrangères et que l'Algérie n'avait pas le choix.