Où se place une visite présidentielle, doublée d'un enjeu électoral, dans la quotidienneté de l'Algérien ? Dans le trou financier ressenti par le salarié de la commune, obligé, la veille de la visite, d'achever de repeindre plus blanc que blanc les passages piétons et autres signalisations du genre le long du trajet de l'éventuel bain de foule. « Toute la nuit s'il le faut », dit l'employé le soir du mercredi 24 août qui, au nom de ses collègues, explique que ces heures supplémentaires ne seront pas payées. La mairie de Sétif ne semble pas faire exception. Même constat dans les autres villes visitées par un officiel. Les policiers non plus, tenus d'assurer un service de présence, gantés d'un blanc immaculé, presque 24h/24. Pas une minute supplémentaire n'est payée. La visite bouscule également le rythme de vie des bambins malgré la formelle interdiction internationale de l'utilisation des enfants à des fins politiques. « Ils sont là depuis 6h. C'est... beaucoup », commente un volontaire du Croissant-Rouge algérien de Bordj Bou Arréridj devant une vingtaine de garçons et de filles âgés entre 7 et 12 ans, ramenés pour figurer des pom-pom-girls ou des danseurs acrobates au stade du 8 Mai 1945 à l'occasion du meeting présidentiel de jeudi dernier. Sous une chaleur continentale, les enfants ont dû attendre depuis 6h jusqu'à la venue du chef de l'Etat à 11h15. Certains, le moment venu de la performance, ne tenaient que difficilement debout. Ils ont, néanmoins, plus de chance que Mohamed Amine, 7 ans, fauché à Mellakou (15 km à l'ouest de Tiaret) par un véhicule de l'ENTV roulant à grande vitesse dans le cortège présidentiel le 25 janvier 2004. Touché à la tête. Diaphyse fémorale droite, contusion pulmonaire et fractures costales postérieures. Aucune prise en charge officielle (voir El Watan du 25 août, page 31). Ni soutien moral ni financier. Mohamed Amine vit, depuis, le calvaire de l'immobilité. Mais la visite peut également avoir des effets positifs. L'explosion du chiffre d'affaires des boîtes de communication et imprimeurs chargés de reproduire à des centaines d'exemplaires l'image de l'auguste visiteur. Rien que dans un petit quartier d'El Eulma (25 km de Sétif), 21 portraits du chef de l'Etat encadraient son inspection du chantier des 1692 logements participatifs ce jeudi. Une gigantesque affiche-portrait couvrant la façade ouest d'un immeuble du côté de Aïn El Fouara au centre-ville de Sétif aurait coûté 42 millions de centimes. La visite permet aussi des rencontres. La bande frontalière entre homme et femme se rétrécit. On accueille dans l'osmose. Les bains de foule mélangent gracieusement dans la ferveur le public féminin et masculin. Ne sont mécontents que les hommes dont les épouses ont reporté la préparation du déjeuner pour assister au passage du « raïs ». Les conducteurs de salle, membres des comités de soutien, infatigables acteurs de la « société civile », bombent le torse et s'égosillent devant les spectatrices tirées à quatre épingles. L'occasion aussi de revoir les « anciens ». Belaïd Abdesslam, ancien ministre sous Boumediène, ancien chef du gouvernement et peu bavard avec la presse ce jeudi, était présent au meeting du stade du 8 Mai 1945 dont la sonorisation a été assurée par l'ONCI. La visite renseigne aussi sur la fiabilité des mécanismes d'attribution à la personne du chef de l'Etat de l'ensemble des réalisations socioéconomiques en faisant abstraction des complexités des structures de gouvernance et d'exécution. Le Président peut aussi parler, avertir et sermonner en public. Satisfait des délais de réalisation du deuxième pôle universitaire d'El Baz (4000 places pédagogiques) à la sortie de Sétif, le chef de l'Etat a lancé un « avertissement final » aux autres wilayas où l'on ne diversifie pas les entrepreneurs. Il venait d'écouter une chorale d'enfants lui chanter Hayou chabab al ifriqi (saluez la jeunesse africaine). Les enfants ont dû interrompre leurs vacances, répéter de 9h à midi durant une semaine. Sur les marches du « pôle », un écolier a lu un texte en l'honneur du Président : « Notre père qui a essuyé nos larmes, ton nom sera éternel à travers les générations. » L'Entente sétifienne, elle, s'est inclinée devant le CRB à l'ouverture du championnat d'Algérie de football. Un à zéro. C'était jeudi, dans un autre stade, celui du 20 Août à Alger.