C'est devant une assistance nombreuse, célébrités et anonymes de la société (culture, politique, hommes d'affaires, sport), venus le soutenir en scandant « Soares e fixe, Soares e fixe » (Soares est bien, Soares est bien), expression à la mode de la jeunesse portugaise, que Mario Soares a annoncé hier, à 81 ans, sa troisième candidature à la présidence de la République. La défection des deux socialistes présidentiables, Antonio Gueteres, l'ancien Premier ministre qui a préféré le poste de président de l'UNHCR à l'ONU, et de Antonio Vitorino, l'ex-commissaire européen à la justice qui, lui, a opté pour exercer sa profession dans un cabinet d'avocats, ont laissé la candidature socialiste vacante. Mario Soares avait alors dit qu'il allait pondérer cette décision. Pourtant, dans un dossier spécial que lui avait consacré le sérieux magazine hebdomadaire Visão, à une question relative sur son âge et son volume de travail, et si un jour il redevenait président de la République, Mario Soares a répondu sur un ton décisif : « On ne revient jamais sur un travail fait plus ou moins bien. » Pourtant, il revient. « Je vous annonce ma candidature à la prochaine élection présidentielle pour répondre aux appels incessants en provenance de plusieurs personnalités du pays et du Parti socialiste, particulièrement son leader, mais je ne suis pas le candidat du PS, je suis un candidat libre soutenu par le PS, et si je suis élu, je serai le président de tous les Portugais », et d'ajouter qu'il est conscient de la grave situation du pays et de l'état d'esprit dépressif qui y règne. « Pour répondre à ceux qui soulèvent l'état de son âge avancé, Mario Soares leur promet et non sans humour » une campagne électorale animée et que ses 81 ans sont un stimulant pour les vieux qui refusent de mourir avant l'heure. Il regrette une société « du culte de l'argent » et promet un dialogue multiculturel et le respect des différences. Il se penchera sur la crise d'indéfinition qui frappe l'Europe et travaillera pour inverser la tendance d'une société des personnes de l'économie pour l'économie des personnes. Il avait pourtant annoncé à plusieurs reprises son retrait définitif de la scène politique, mais en vain ; la vie publique lui collait au corps. Le fondateur du Parti socialiste portugais, après avoir cédé il y a presque une décennie le « palacio de bélèm » qu'il avait occupé entre 1986-1996, à son camarade Jorge Sampaio, souhaite maintenant le récupérer. Depuis, malgré ses 70 ans, il est resté actif. Il a exercé des professions de prestige qui l'ont toujours maintenu sous les feux de la rampe : conseiller d'Etat. Président de la fondation qui porte son nom, il organisa des séminaires et colloques de prestige international. Président de la commission d'enquête qui s'est rendue à Alger en 1999, ayant une vie académique très lucrative, député au Parlement européen, il a également été président du comité des sages du Conseil des réformes de l'Europe. Et à la télévision, il a présenté une émission intitulée « Le siècle des peuples », et a eu comme invités Henry Kissinger, Philippe Gonzalez, Tony Blair, Gorbatchev. Cette candidature ne fait pas l'unanimité, certains cercles du PS la trouve comme un retour au passé, et à cet âge, pour des raisons morales, il faut laisser la place aux autres, comme Manuel Alègre, son ami de 30 ans. L'ancien exilé d'Alger, qui pensait légitimement que son heure était arrivée, avait anticipé sa disponibilité pour affronter et battre le très probable candidat de droite Cavaco Silva. Malgré le soutien que lui apporte une partie du peuple de gauche, son nom ne fait pas l'unanimité au sein du PS. Dans une rencontre avec ses sympathisants, Manuel Alègre a déclaré : « Je diverge avec la direction du parti sur le processus de désignation de Mario Soares. Il n'y a pas d'homme providentiel, ni de gauche ni de droite, et personne n'est propriétaire de la République », et d'enchaîner : « Les partis ne peuvent pas usurper les libertés, les partis ne peuvent pas s'approprier la République et la démocratie. Elles n'ont pas de propriétaire, je suis contre la candidature de Mario Soares pour toutes ses raisons, et encore une, je suis un républicain ». Il argumentera par la victoire du « non » au référendum sur la Constitution européenne alors que les partis ont appelé à voter « oui ». Sans pour autant assumer officiellement sa candidature. D'autres milieux traditionnellement hostiles à la famille Soares tiennent en privé un discours haineux : « A son âge, il ne finira même pas la campagne électorale ». Mais « l'animal », comme l'appellent orgueilleusement ses adeptes, a le soutien inconditionnel de la majorité du Parti socialiste et surtout des « éléphants » de l'appareil : José Socrates, le secrétaire général du parti et chef du gouvernement, Antonio Costa, le tout-puissant ministre d'Etat et ministre de l'Intérieur et Jorge Coelho, le chef de la machine PS, ainsi que la Jeunesse socialiste (J.S.) venue pas aussi nombreuse que prévu écouter avec beaucoup d'assiduité son « papy » politique.