La réconciliation, même dans le cas où elle serait plébiscitée par le peuple, ne peut, à elle seule, apporter des changements appréciables dans la société. Elle doit être accompagnée par des réformes fondamentales d'amélioration de l'efficacité des institutions, d'actualisation des modes de gestion, de démocratisation des canaux de participation de citoyens, du renforcement des attributions des instances démocratiquement élues. Cette réconciliation doit être également consolider par des politiques économiques équitables dans sa répartition des richesses et dans la préservation de l'avenir des générations futures. Cette réconciliation doit avoir comme objectif la consolidation de la transparence et la lutte contre la corruption. Ces mesures, malheureusement, ne peuvent pas se décréter et imposer. Ces mesures nécessitent des débats démocratiques, sans exclusion aucune. Sinon, le pays sera toujours dans une éternelle spirale caractérisée par des périodes de crises, suivies par des révoltes ou conflits internes, suivies par des réconciliations stériles. Pas de développement, pas d'amélioration dans la vie du citoyen, dépendances renforcées vis-à-vis des entrées émanant des hydrocarbures... Aussi, la vraie question qui se pose à nous concerne la nature du système à définir et à appliquer pour ne plus parler de réconciliation, mais de débattre de nos choix stratégiques de développement. Les conditions préalables à une bonne gouvernance Actuellement, la notion de « bonne gouvernance » est à la mode. Elle est reprise dans la majorité des documents de politique générale ou de plans de développement des pays développés ou en voie de développement. Pour beaucoup, pour des raisons stratégiques ; pour certains, pour des raisons démagogiques. L'introduction du qualificatif « bonne » suppose, donc, une évaluation objective basée sur des indicateurs qualitatifs et quantitatifs. Ces indicateurs ont été définis d'une manière approfondie par les spécialistes de la Banque mondiale(1). Des évaluations sont faites. Mais, peut-on évaluer la gouvernance d'un pays, et lui suggérer des actions de redressement quand ce pays ne réunit pas un minimum de conditions ? Les recommandations d'amélioration ne seront pas appliquées, ou appliquées avec la même logique, qui a conduit ledit pays à sa situation de mauvaise gouvernance. Des conditions préalables sont à réunir avant de vouloir évaluer « sa gouvernance », dans le but d'améliorer les qualités des services publics et les conditions de vie des citoyens et non pas pour suivre un effet de mode ou tromper le citoyen. Les recommandations pour une bonne gouvernance touchent des domaines importants, sensibles et vitaux pour le citoyen, notamment : La démocratisation effective et réelle des institutions au niveau national et local. La transparence dans les choix, dans les prises de décision à tous les niveaux. Les choix stratégiques de développement. L'Etat de droit. La lutte contre la corruption. La préservation de l'environnement L'exploitation des ressources naturelles sans mettre en danger l'avenir des générations futures. Une rationalisation dans les choix budgétaires. Une discipline budgétaire permanente et sans faille. Une phase de transition est nécessaire pour accompagner un pays dont tous les indicateurs d'évaluation attestent et confirment sa mauvaise gouvernance. Cette phase est utile pour deux raisons. La première est de permettre aux citoyens, aux institutions internationales, aux bailleurs de fonds de tester la bonne volonté des dirigeants à vouloir ou non une refonte de leur manière de diriger, de gérer, de répartir les pouvoirs et les richesses. La deuxième raison, c'est, en plus de la sincérité des dirigeants, une fois acquise, qu'il convient de les assister pour leur permettre de réunir les préalables. Cette phase nécessite du temps, du savoir, des compétences, de la concertation, l'engagement du citoyen, l'aide des institutions spécialisées et autonomes. Le constat. Pour illustrer notre approche, nous prenons le cas de l'Algérie où des objectifs sont depuis l'indépendance repris par tous les gouvernements qui se sont succédé, sans atteindre ces objectifs, voire aboutir à des résultats contraires, malgré les multiples réformes appliquées depuis 1965. L'ensemble de ces objectifs a bénéficié de l'appui politique, de moyens financiers importants. Alors on peut se poser, légitimement, la question pourquoi un tel échec ? Pourquoi, en matière de gouvernance l'Algérie se classe-t-elle parmi les derniers pays en voie de développement, malgré ses potentialités humaines et financières, ses richesses naturelles et sa position géographique ? L'Algérie a mené des réformes, ses dirigeants ont toujours exprimé leur désir de faire mieux. A notre avis, l'échec réside dans la non-remise en cause de la conception de gouverner, de gérer, de voir les choses, la non-participation du citoyen à la prise de décision et à l'évaluation, l'absence d'analyse des comportements au quotidien, aussi bien des décideurs que des citoyens. L'absence de remise en cause de la démarche dans l'élaboration de la loi et de son application. Les conditions préalables à la réussite d'une politique, d'une démarche de changement, n'ont pas été réalisées. Ces conditions ne sont pas d'ordre matériel ou financier. Ce sont des conditions liées au comportement, à la vision des choses, à la conception que l'on a de la démocratie, de la concertation, de la participation du citoyen à la gestion de son présent et à la définition de son avenir. Ces blocages à la mise en marche d'un processus de bonne gouvernance trouvent leurs explications dans la définition de la notion même de gouvernance telle qu'elle a été retenue par les experts de la Banque mondiale. En effet, ils entendent par « gouvernance » « les traditions et les institutions au travers desquelles s'exerce l'autorité dans un pays »(2). Le mot tradition a son importance dans cette définition. C'est pour cette raison que nous estimons que l'analyse des comportements est déterminante dans la correction de la manière de gérer et de participer au développement. Ces traditions peuvent être des attitudes à bannir ou des habitudes à corriger. Les comportements à proscrire Le volontarisme que nous pouvons définir comme lancement d'actions, sans le respect de démarches rationnelles utilisées pour tout projet ou programme, notamment des études et des diagnostics approfondis réalisées par des professionnels. Une définition assez précises des objectifs, des étapes de concrétisation de ces objectifs réalistes. Définition des moyens et des instruments de contrôle et d'évaluation par étapes sur les plans technique, financier et de respect des clauses relatives à l'environnement. Cette manière d'agir conduit à toute une série d'habitudes négatives notamment : L'absence de transparence. Elle se manifeste quotidiennement dans la quasi-totalité des affaires et prise de décision ou sélection. La notion de transparence exige que les conditions, les paramètres, les données permettant un choix, une sélection, une décision soient connues à l'avance et par tout le monde. Ces conditions vont à l'encontre des actions volontaristes et peu démocratiques. Quel est aujourd'hui le citoyen, le journaliste ou le chercheur qui peut prétendre être au courant des paramètres et indicateurs qui ont permis d'établir le plan de relance actuel, de répartir les fonds par secteur et par région ? L'assimilation de la critique à l'opposition. Cette perception de la critique trouve son origine, d'une part, dans nos traditions basées sur le patriarcat et la tribu et d'autre part, par plus de trente ans de parti unique non démocratique. Aussi par manque de compréhension et de pratique de la démocratie, le décideur, à quel que niveau que ce soit, estime que le critiquer, c'est être contre lui. Il vous considère comme un opposant à son action, voire comme son ennemi. Cette perception des choses le conduit à une autre démarche négative qui ne va pas lui permettre de réussir dans son action, c'est le recours à l'auto-évaluation. L'auto-évaluation. Elle permet au décideur de choisir lui-même les résultats à évaluer et les critères d'évaluation. En réalité, il valide lui-même ses résultats et arrête les qualificatifs en fonction des moments et des situations. L'auto-évaluation donne toujours de bons résultats. Ces résultats réels ou fictifs sont nécessaires pour conforter le décideur dans sa démarche et convaincre les non initiés de la qualité de sa politique et de ses actions. Malheureusement, cette habitude ne permet pas au décideur de voir et de connaître et de bien cerner ces insuffisances et ses erreurs. Par conséquent, la situation ne va pas évoluer, malgré les investissements opérés et les fonds dépensés. C'est le retour permanent à la situation initiale. C'est la définition par excellence du sous-développement. La confusion entretenue entre décentralisation et régionalisme. La régionalisation est presque considérée comme un sujet tabou. La décentralisation des pouvoirs au niveau local est perçue, à tord, comme une démarche qui va favoriser le régionalisme et le partage du pays. Cette perception des choses conforte la position de ceux qui défendent la centralisation au détriment de l'efficacité et de l'équité entre les différentes régions du pays. La confusion volontaire entre réorganisation et permutation des responsables. Périodiquement, des permutations de responsables sont annoncées et très médiatisées. Cette vision des choses est entretenue en permanence depuis la période du parti unique. On fait croire aux citoyens que des changements vont intervenir, on sous-entend par-là que des améliorations vont apparaître avec les permutations des responsables. Alors que les causes qui ont conduit à l'échec se trouvent, en général, dans le système lui-même. Le système gagne ainsi du temps, en faisant « marcher » le citoyen, et éviter, grâce à cette tactique, de se remettre en cause et de reconnaître les défaillances de sa politique. La suprématie des technocrates dans la prise de décision. Cette situation favorise l'aspect technique d'un problème au détriment des autres aspects et réduit par conséquent les chances de toute participation aux débats. La centralisation favorise les technocrates. Les technocrates, forts de leur conviction, de leurs études et diagnostics, sont peu réceptifs à la concertation. Ils préfèrent des prises de décisions en cercles restreints, pour décider rapidement, au lieu de perdre du temps dans des concertations jugées, par eux, comme stériles. L'ensemble de ces quelques habitudes et conceptions sont à bannir avant de vouloir prétendre à la mise en place d'un processus de bonne gouvernance. En plus, de ces remises en cause, des habitudes nouvelles sont à acquérir pour pouvoir assimiler le conditions de cette démarche. Absence de vision globale et de complémentarité entre les différents secteurs. Cette défaillance coûte très chère au pays et aux citoyens. Des investissements sont réalisés dans un secteur et non suivi par d'actions complémentaires relevant d'autres secteurs. A titre d'exemple, nous citons l'inadéquation entre formation et besoin en main-d'œuvre qualifiée, la construction du port de Djendjen, actuellement sous utilisé par manque de réseau routier adéquat constituant une ouverture de la ville de Jijel sur les villes des Hauts-Plateaux. Absence d'une vision d'anticipation. Cette carence contraint les institutions à faire face aux problèmes immédiats qui se posent avec acuité. Ces institutions tentent de régler les problèmes dans l'urgence et la précipitation. Le travail en profondeur d'analyse, d'explication, d'anticipation ne peut se faire dans ces conditions, même si des compétences existent et veulent agir en ce sens. Les systèmes de prise de décision et de gestion sont tellement mal définis qu'il est difficile de cerner les responsabilités.Cette difficulté de cerner les responsabilités est plus accentuée au niveau local. Les revendications des citoyens, ces derniers temps, à Béchar, Tamanrasset, Djelfa... montrent bien les confusions entre les responsabilités et les degrés de leur décentralisation par rapport au centre. C'est pour cette raison que les autorités locales se trouvent, le plus souvent, paralysées face aux problèmes qui se posent à eux. Les nouveaux comportements Il est difficile d'acquérir de nouveaux comportements, surtout, quand ils sont l'opposé des habitudes acquises depuis longtemps. Mais la situation l'exige. La mondialisation ne pardonne pas. Pour pouvoir tirer un bénéfice de cette nouvelle réorganisation, il est impératif d'être à la hauteur. Etre à la hauteur, par sa bonne gouvernance. Apprendre à se concerter, à s'écouter, à respecter l'avis de l'autre. Cette attitude a été longtemps étrangère à nos actions quotidiennes. Alors qu'elle constitue l'un des fondements de la démocratie. Cette habitude va enrichir, préciser les diagnostics et permettre de définir des décisions plus justes et réalistes. Elle favorisera la participation du citoyen et des compétences qui ne sont pas dans la sphère du pouvoir. Apprendre à reconnaître ses erreurs. Cette habitude ne peut exister que lorsque aussi bien le citoyen que le décideur ne confondront plus erreur et incompétence. Actuellement, tout gestionnaire, professeur, directeur, chercheur, simple chef de service... est accusé d'incompétent et lui-même accuse les autres d'incompétent. Cet état d'esprit ne favorise aucunement l'apparition d'attitude positive. Les bouleversements dans le monde actuel (politique, économiques, stratégiques, scientifiques, technologiques...) imposent à tout décideur de se remettre en cause et d'avoir la capacité de s'adapter en permanence, non pas pour subir, mais pour tirer profit de ces changements. Apprendre à être un agent de changement. Un agent de changement positif, voulant améliorer les choses, dans l'intérêt de tous et non pour ses propres intérêts. Un agent de changement suppose : Avoir une vision globale à long terme Etre compétent Etre professionnel Etre à l'écoute de l'autre Cette habitude de vouloir en permanence un changement qualitatif est la source d'énergie nécessaire à l'action quotidienne. Ces changements sont à faire avec la participation de tous. Avec l'aide des institutions spécialisées nationales et internationales, avec l'apport des universités et des compétences algériennes exerçant à l'étranger, avec la participation du citoyen. La conjoncture actuelle est favorable à une remise en cause de nos habitudes de gérer et de décider pour pouvoir s'intégrer positivement dans la mondialisation et ne pas compromettre l'avenir du pays. Notes : 1 Voir la revue Finances et développement (FMI) juin 2003. 2 Voir la revue Finances et développement juin 2000. Articles écrits par Daniel Kaufmann, Aart Kraay, Pablo Zoido-Lobaton.