On l'appelle complexe, car il comporte 14 sous-zones humides. Classé en 2002 comme zone humide d'importance internationale par la Convention de Ramsar, le complexe Guerbès- Sanhadja, situé à l'est de Skikda, fait pourtant état de plusieurs menaces qui pèsent sur lui et qui risquent d'entraîner une dégradation irréversible du site si le plan d'urgence n'est pas mis en oeuvre. Le visiteur qui vient de Skikda pour découvrir le complexe de zone humide de Guerbès-Sanhadja passera d'abord par les magnifiques et réputées plages des stations balnéaires de Ben M'hidi et des Platanes. Après s'être engouffré dans les profondeurs de la zone humide de Guerbès-Sanhadja, il découvrira les multiples dunes sablonneuses, les marais et étangs qui la composent et aura même l'occasion de voir des poules d'eau s'abriter craintivement derrière les rideaux de roseaux poussant abondamment sur les bords des plans d'eau. Il verra aussi des motopompes aspirant goulûment l'eau des marais pour la transférer vers des espaces de culture clôturés par des haies sommaires et où l'on devine qu'il s'agit de pastèques, melons et tomates essentiellement. Quelques petits troupeaux de bovins et d'ovins disséminés çà et là près d'habitations précaires broutent tranquillement les quelques plantes vertes qui parsèment encore les espaces sablonneux malgré les chaleurs de l'été. Une zone classée sur la liste de la Convention Ramsar Ces premières observations d'un visiteur non averti confirment pourtant que la zone de Guerbès-Sanhadja présente des caractéristiques naturelles exceptionnelles qui en font le complexe de zones humides le plus important en Algérie avec le lac Tonga, au Maghreb et dans le bassin méditerranéen et justifiant largement son classement le 2 février 2002 comme zone humide d'importance internationale par la Convention sur les zones humides (Ramsar, Iran, 1971). S'étalant sur une superficie de 42 100 ha, le complexe de Guerbès-Sanhadja compte 14 sous-zones humides d'où l'appellation de complexe. Il est situé sur une plaine littorale et s'étend sur la partie est de la wilaya de Skikda, dans les daïras de Ben Azzouz, la Marsa et Djendel (Azzaba). Le réseau hydrologique du complexe est constitué essentiellement de deux grands barrages, celui de Oued El Kebir, l'un des plus importants aussi bien en largeur qu'en volume, avec une largeur variant entre 20 et 50 m qui débouche sur la plage de la Marsa. Huit autres oueds de moindre importance complètent le réseau hydrologique de la plaine, alors que trois autres bassins versants départagent la zone. Le site revêt une valeur particulière puisqu'il jouit d'une flore remarquable. 234 espèces végétales sur les 1800 que compte l'Algérie du Nord ont été recensées dont 19 rares et 23 rarissimes. Cinquante espèces d'oiseau ainsi que 27 espèces d'odonate existent également. Un site de plus en plus dégradé Néanmoins et selon une étude élaborée par la Direction générale des forêts (DGF), il est fait état de nombreuses menaces qui pèsent sur le site et qui risquent, à long terme, d'entraîner sa dégradation irréversible. Celles connues à l'heure actuelle sont essentiellement liées à l'extension anarchique de l'agriculture et l'utilisation excessive de produits phytosanitaires par les agriculteurs en plus des rejets d'eaux usées de la daïra de Ben Azzouz et des villages limitrophes situés en amont. Les agriculteurs que nous avons rencontrés tiennent à justifier leur acte en soutenant que «l'activité agricole est notre seule gagne-pain, les cultures de la pastèque et du melon mais surtout de la tomate nous permettent d'assurer une vie acceptable pour nos familles. Certes nous recourons au pompage de l'eau dans les marais de la zone mais c'est uniquement parce que les points d'eau existants au niveau de notre commune demeurent largement insuffisants surtout pour l'irrigation de ce genre de culture. Qu'on nous propose d'autres alternatives et nous serons prêts à jouer le jeu». Le secrétaire général de l'APC de Ben Azzouz, Khlifi Amar, qui a d'ailleurs bien voulu nous servir de guide tout au long du reportage, évoquera pour sa part l'épineux problème d'irrigation en expliquant « la wilaya dispose d'un important périmètre irrigué, celui de Zit Emba, dans la commune de Bekkouche Lakhdar. Une première tranche de 2500 ha est déjà opérationnelle et nous avons espéré que la région de Ben Azzouz puisse bénéficier d'une seconde tranche ; cela mettrait définitivement fin au problème d'irrigation des agriculteurs lesquels sont souvent accusés d'agressions à l'encontre du site». Et d'ajouter : «Vous savez, la population et en particulier les agriculteurs sont conscients de l'importance de la zone humide et des bénéfices qu'elle peut leur apporter à long terme. Il faut juste penser à leur proposer d'autres alternatives.» Néanmoins et selon un cadre de la direction de l'hydraulique, «la commune de Ben Azzouz dispose d'assez de réserves souterraines (forages) et a comme alternative de mobiliser les ressources superficielles par la réalisation de retenus collinaires». Dialogue de sourds entre deux institutions ? D'autre part, il est mentionné dans le rapport d'autres agressions, notamment le défrichement des terres forestières qui se pratique à grande échelle pour laisser place à des cultures saisonnières très prisées dans la région, à savoir la fameuse pastèque de Ben Azzouz, le melon, la tomate, le poivron, mais aussi la figue de Barbarie toute aussi célèbre que la pastèque. Ces pratiques provoquent inexorablement l'érosion éolienne qui, compte tenu de la texture sableuse des sols, peut entraîner l'ensablement de toute la zone, y compris les lacs et les dépressions. Par ailleurs et compte tenu de l'existence de dunes continentales, des extractions anarchiques et illicites de sable sont opérées. Ceci risque, à terme, de provoquer la déstabilisation d'une partie de la zone et entraîner des modifications du site. Un projet international financé par le PNUD et le WWF Nonobstant toutes ces contraintes et lourdes menaces qui pèsent sur l'avenir de la zone, un projet international de gestion intégrée cofinancé par l'Etat algérien, le Programme des Nations unies (PNUD) et le World Wilde Fondation (WWF) a été mis en place et s'inscrit dans le cadre général de la politique nationale pour la conservation des zones humides, de la biodiversité, du développement durable, de lutte contre la désertification et la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Jointe par téléphone, Ghania Bessah, sous-directrice des parcs nationaux et des groupements végétaux naturels à la direction générale des forêts DGF, expliquera que le projet «vise essentiellement la protection de l'environnement et des ressources naturelles par le développement d'instruments de planification permettant d'enrayer le processus de dégradation du milieu naturel et du cadre de vie des populations. Le renforcement des ressources et capacités nationales au service du bien-être et du développement social durable par des programmes de sensibilisation et de renforcement des capacités ; la réduction de la pauvreté en assurant la protection des biens et services procurés par les zones humides ; le développement de sources alternatives de production et de revenus». Et de poursuivre : «Il est attendu à la fin du projet de disposer d'un plan de gestion intégrée du sous-bassin versant de la plaine humide de Guerbès-Sanhadja et de développer deux projets pilotes suite à l'identification des besoins réels des populations. » La même responsable ne manquera pas, par ailleurs, de mentionner l'organisation, au cours des mois de juin et juillet, de deux ateliers de consultation pour l'élaboration d'un plan de gestion intégré du complexe de zone humide. Le premier atelier était destiné aux analyses des perturbations physiques sur les écosystèmes. «L'objectif de cet atelier était de générer d'une manière participative des réponses et solutions à la problématique de la dégradation des sols dans le périmètre de ce complexe de zones humides. Il est attendu l'appropriation de la problématique par les participants et la formulation de propositions concrètes pour arrêter ces menaces et restaurer les milieux dans le cadre du plan d'action d'urgence sur deux ans et du plan d'action pluriannuel.» Le second atelier, organisé au mois de juillet dernier, a pour sa part mis en exergue la nécessité d'instaurer un plan d'urgence sur deux ans qui vise entre autres à arrêter la dégradation de la couverture végétale du massif dunaire et l'érosion des sols par arrêt des opérations de défrichement et tenter de mettre fin ou atténuer la pollution émise sous diverses formes dans les cours d'eau et les plans d'eau du complexe (eaux usées des agglomérations, fuel et huiles des motopompes ). Un plan d'urgence de deux ans pour sauver la zone Il a également été proposé, par le bureau d'études, les représentants des agriculteurs et la conservation des forêts lors de cet atelier, de mettre en place un cadre réglementaire provisoire d'urgence pour véhiculer, cadrer et appuyer les propositions du plan d'action d'urgence sur deux ans sur arrêté de protection du wali, et ce, en sensibilisant les autorités locales en haut lieu. Parallèlement à ces actions qui devront prendre effet dans les plus brefs délais, la Conservation des forêts de la wilaya de Skikda prévoit incessamment la mise en place d'un centre d'éducation et de sensibilisation environnementale. Le choix de l'emplacement du centre n'a pas encore été défini. Une enveloppe financière a été allouée pour la réalisation du centre. Ce dernier sera aménagé de sorte que les citoyens puissent découvrir de visu les spécificités d'une zone humide, ses potentialités et la nécessité de sa préservation comme patrimoine naturel.
Un centre d'éducation environnementale Le dernier volet et pas des moindres concerne quant à lui la mise en place d'un programme de communication, éducation et sensibilisation du public. Le programme en question prévoit diverses activités à l'égard du public cible. Eveiller l'intérêt des enfants pour la protection de l'environnement, leur faire découvrir le milieu naturel et leur indiquer les dégradations dont il fait l'objet. Pour cela, il faudrait les sensibiliser par le biais de diverses techniques dont des films pédagogiques, des documentaires sur la faune et la flore, de jeux d'ateliers. Il est aujourd'hui plus qu'indispensable d'exécuter le projet et le volet éducation constitue à lui seul l'un des meilleurs moyens pour lutter contre les facteurs néfastes et contribuer au changement des habitudes des riverains de la région et assurer, selon les termes de la Convention Ramsar «la conservation et l'utilisation rationnelle des zones humides par des actions locales, régionales et nationales et par la coopération internationale, en tant que contribution à la réalisation du développement durable dans le monde entier».