Au moment d'évaluer ce qui s'est passé au 35 Festival de Toronto, en dehors des grosses machines américaines et aussi en mettant à part un chef d'œuvre hors catégorie : Misterios de Lisboa de Raoul Ruiz, le regard s'arrête sur l'excellente section City to City consacrée cette année à Istanbul, aux cinéastes turcs qui ont filmé la cité fascinante sur les rives du Bosphore. D'Inde aussi, des films ont retenu l'attention, produits en dehors du délirant mécanisme de Bollywood. D'Inde et de Turquie, le Festival de Toronto a montré des fictions séduisantes, fondamentalement éloignées du cinéma anodin et sans mérite. 35 films turcs et 7 films indiens étaient au programme du Festival de Toronto. La Turquie produit 50 films longs métrages fiction par an et qui tiennent le haut du pavé au box office, laissant loin derrière le cinéma américain. Films de divertissement surtout mais aussi des films d'auteurs. Ce sont ceux-là essentiellement qui étaient à Toronto, mis en scène par Nuri Bilge Ceulan, Tayfur Pirselimoglu, Pelin Esmer, Seren Yuce, Reha Erdem… Ce sont avant tout des hommages poétiques à Istanbul, avec des plans parfois gris et pluvieux, souvent éblouissants de lumière et de beauté, avec le vol des mouettes sur les bateaux voguant vers les rives asiatiques du Bosphore, les mouettes blanches uniques d'Istanbul. On se souviendra de personnages attachants de ces films. Comme dans la majorité de Seren Yuce : Mertkan, 21 ans, soumis à l'autorité de son père et qui voudrait tant un minimum de liberté. Le riche père dit les choses brutalement, et quand sur le chemin de Mertkan se présente une jolie jeune Kurde, le père décrète son refus : «Ces gens-là veulent diviser notre pays». Istanbul ou le rejet des minorités. Le film de Pelin Esmer : 10 à 11 est un docu-fiction consacré à son propre oncle Mithat Esmer, un Stambouliote de grande originalité, scientifique à la retraite, formé dans une prestigieuse université américaine, et qui consacre son temps à parcourir Istanbul à la recherche d'objets à collectionner. Ce vieux monsieur est un amoureux de sa ville, il l'aime comme un anthropologue qui fouille partout dans ses entrailles et ramène dans sa maison déjà pleine des journaux des réveils, des montres, des poupées, des bouteilles d'alcool, tous les objets les plus insolites encore. Sa femme lui dit : «choisis entre moi et ta collection. Il choisit sa collection. Sa femme est partie. Le collectionneur enfin seul peut continuer. Il mesure tout, enregistre les conversations téléphoniques, le temps qu'il fait chaque jour. Comme le personnage de l'Etranger de Camus qui enregistre la météo. Dhobi Ghat et That Girl in Yellow Boots font partie de la sélection indienne.Dans la forme comme dans le fond, ces deux films indiens ne sont pas cousus de fil blanc. Ils racontent la vie quotidienne à Mumbai (Bombay) et c'est parfois hallucinant. Le premier film réalisé par Kiran Rao, avec Amir Khan, montre combien le mélange entre les microcosmes sociaux indiens est impossible. Des années lumières séparent les riches des pauvres, en dépit de quelques tentatives de rapprochement toujours vouées à l'échec. Il y a comme un grand malaise dans la société indienne, et surtout à Bombay qui est tout sauf un conte de fée. Anurang Kashyap ,auteur déjà de Black Friday, a fait un film plus noir encore. La fille aux bottes jaunes travaille dans un «massage parlour» et consacre tout son temps libre à rechercher à Bombay son père qui a abandonné sa mère et qu'elle ne connaît pas. Il lui arrive ainsi des catastrophes successives avant qu'elle tombe sur l'homme. Des scènes cruelles s'en suivent. Tourné à un rythme tourbillonnant, le film de Kashyap frôle parfois le sommet de l'horreur.