Le procès des deux non-jeûneurs, Salem Fellak et Hocine Hocini, âgés respectivement de 34 et 47 ans, s'est déroulé, hier, au tribunal correctionnel de Aïn El Hammam, à 45 km au sud de Tizi Ouzou. Le verdict est mis en délibéré pour le 5 octobre prochain. En présence d'un important collectif d'avocats, les deux prévenus ont comparu devant le juge. Lors de l'audience, les deux ouvriers en bâtiment ont reconnu avoir rompu le jeûne dans un chantier mais loin du regard des citoyens. «Oui, je suis chrétien et je l'assume. J'ai le droit de ne pas faire carême», a déclaré Hocine Hocini dans une salle d'audience pleine comme un œuf. A l'issue de son réquisitoire, le procureur a requis une peine de trois ans de prison ferme contre les deux concernés, estimant que les mis en cause «ont porté atteinte aux préceptes de l'Islam, en vertu de l'article 144 bis 2 du code pénal». Selon lui, des citoyens ont déposé une plainte à la police qui a procédé, par la suite, à l'interpellation des deux jeunes. «Certes, il n'y a pas de loi qui condamne celui qui ne fait pas carême, mais il y a des limites. Les deux mis en cause ont porté atteinte à la religion et ont perturbé l'ordre public.» Les avocats ont demandé la relaxe des mis en cause, précisant qu'il s'agit là d'une atteinte à la liberté individuelle des citoyens, d'autant plus, ont-ils ajouté, que «la Constitution algérienne est claire» sur ces questions. «Quand il s'agit d'un crime ou d'affaire de corruption, la justice n'a jamais ramené de PV pour nous montrer des pièces à conviction, ici, il y a, comme preuves, des bouteilles de limonade et des sandwichs. La Constitution et les conventions internationales n'ont jamais condamné quelqu'un qui ne fait pas carême. Même la religion musulmane est souple à l'égard des personnes qui travaillent dans des conditions difficiles. Des ouvriers dans un chantier, avec une température de 40 degrés, ont été interpellés parce qu'ils ont mangé. La police et la justice algériennes veulent fermer les portes que l'Islam a ouvertes», a soutenu maître Mokrane Aït Larbi. Dans le même ordre d'idées, Me Hocini enchaîne : «C'est une violation pure et simple de la Constitution, car les libertés individuelles sont sacrées.» Me Aïssa Rahmoune est allé plus loin dans ses plaidoiries, précisant que «c'est déplorable de savoir que c'est la police qui a guetté ces deux jeunes surpris en train de prendre un sandwich à l'intérieur du chantier où ils travaillent. » «Le Bon Dieu n'a pas besoin d'interlocuteur, ni de juge, ni de procureur. Où sont les principes de tolérance ?», s'est-il interrogé avant de relever que «cette affaire est très légère et fragile». Me Noura Hadouche a, de son côté, estimé que «ces jeunes n'ont rien fait de grave pour qu'ils soient condamnés. Tous les citoyens de la région sont derrière ces jeunes, car ils savent que ces derniers n'ont porté atteinte à personne. Ils ont mangé parce qu'ils travaillaient dans un chantier et dans des conditions pénibles. On veut des ouvriers qui travaillent et non ceux qui se roulent les pouces», a-t-elle expliqué avant que son confrère Aït Mimoune ne fasse sa requête. Il a, en effet, évoqué une violation de domicile et d'intimité. A l'extérieur du tribunal, un rassemblement a été organisé pour soutenir les prévenus. Des centaines de personnes se sont amassées, dès 8h, devant l'édifice de la justice. Militants des droits de l'homme, des associations et ceux du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK) ainsi qu'une délégation du Congrès mondial amazigh (CMA) ont pris part à ce rassemblement. Hocine Azem, vice-président du CMA, a déclaré que «la liberté de conscience est un acte fondamental des droits de l'homme. Nous exprimons notre solidarité avec ces deux jeunes et exigeons leur relaxe. Ils sont victimes d'un acte d'inquisition». Pour sa part, Moh Hachim, représentant du MAK, «ces actions de mobilisation doivent se multiplier, car le champ des libertés démocratiques est restreint dans notre pays. Nous condamnons l'acte, car nous sommes pour la liberté de culte et de tolérance», a-t-il dit. Par ailleurs, dans une déclaration rendue publique, la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH) souligne que «ces poursuites pénales succèdent à celles engagées contre d'autres citoyens à Tébessa, Akbou, Bouira, sur la base du même chef d'inculpation tiré d'une fausse application de l'article 144 bis alinéa 2 du code pénal». Le même document ajoute que «la LADDH argue et oppose avec insistance que toute référence à la charia ne peut être invoquée qu'à titre supplétoire dans des situations lacunaires de vide juridique du droit positif algérien». Le rassemblement s'est poursuivi jusqu'en milieu de la journée où les présents se sont dispersés sans le moindre incident. Le rendez-vous est pris pour le 26 septembre devant le tribunal de Larbâa Nath Irathen, où comparaîtront quatre chrétiens pour pratique illicite d'un culte non musulman.