Sakineh Mohammadi-Ashtiani, l'Iranienne condamnée en 2006 pour adultère et complicité dans le meurtre de son mari, sera bien lapidée. Le chef du pouvoir judiciaire, Mohsen Ejeih, l'a annoncé lundi en conférence de presse. La médiatisation de son affaire en Occident était-elle politiquement orientée ? Ou le cas Sakineh méritait-il une telle mobilisation au nom de la lutte pour les droits de l'homme ? Débat. Une nouvelle supercherie médiatique ? Toute l'histoire tient dans ces quelques mots : «Une femme a été condamnée en Iran à la lapidation pour adultère.» Cette somme de termes à fort caractère émotionnel, mis bout à bout, a ému les consciences, et le président Sarkozy, remonté par l'essayiste Bernard-Henri Lévy, initiateur de la campagne et habitué des indignations sélectives, mobilise la France et l'Europe. Sauf que l'Iran, des sites comme le réseau Voltaire (www.voltairenet.org) ou agoravox (www.agoravox.fr) ou encore Jean Taffazzoli, spécialiste en géopolitique du Moyen-Orient, franco-iranien et président du groupe TRANS ASIA, ont une autre version. D'abord les faits. Fin 2006, une femme et deux hommes sont arrêtés en Iran pour le meurtre de M. Mohammadi-Ashtiani. L'enquête montre que Sakineh entretient plusieurs relations extraconjugales et a commandité le meurtre de son mari, elle est condamnée à mort par pendaison. Ensuite la campagne pour la défendre ; en 2009, Bernard-Henri Lévy s'émeut du sort de l'Iranienne et prend sa chemise blanche pour faire pression sur l'Iran à travers les plateaux TV où il est régulièrement invité. Pour l'Iran, Sakineh a été condamnée pour meurtre et non pour adultère, elle et l'un de ses amants, Issa. Sakineh a avoué avoir empoisonné son mari et les deux meurtriers ont été condamnés en deuxième instance. En attendant que la cour de cassation (troisième instance) statue sur la régularité du procès, les peines sont suspendues, et puisqu'il faut par ailleurs un délai de 5 ans pour appliquer la peine capitale, Sakineh n'a pas été exécutée «à la fin du Ramadhan» comme l'avertissait Bernard-Henri Lévy, ajoutant cet énième terme émotionnel pour braquer encore plus l'opinion publique chrétienne. Condamnée en 2006, Sakineh n'a toujours pas été «lapidée» 4 ans plus tard et Bernard Henri-Lévy s'est réveillé en 2009 pour annoncer «l'imminence» de sa lapidation. Par ailleurs, Bernard-Henri Lévy parle de 20 cas de lapidation en Iran depuis l'accession de Ahmadinejad au pouvoir, mais aucun document ne le prouve, seule une vidéo très floue datant de 1994 (soit de près de 20 ans) circule, et encore, avec un logo turc au bas de l'image, ce qui peut provenir de n'importe où. De fait, la lapidation n'existe plus dans le système judiciaire iranien, elle a été abolie peu après la fin de règne du Shah Réza Pahlavi, grand ami des Occidentaux. Préparer l'opinion pour une invasion Si quelques juges dans des provinces éloignées s'amusent parfois à statuer sur la lapidation, c'est à l'image des non-jeûneurs arrêtés en Algérie, la loi ne les condamne pas mais les juge, et en appel, la loi l'emporte, tout comme existe un décret en Algérie (datant de 1963) qui interdit aux Algériens de boire de l'alcool mais qui n'est pas appliqué. Ce qui est sûr, c'est qu'aujourd'hui, les condamnés à mort sont pendus et la peine n'est généralement exécutée que contre les gros trafiquants de drogue, les terroristes et les assassins d'enfants. Enfin, Javid Houstan Kian, le soi-disant avocat de Sakineh, censé relayer les informations en provenance d'Iran, n'aurait pas été mandaté par Sakineh ni par son amant et s'est autodésigné comme défenseur de la pauvre femme. Réfugié en France, cet homme s'avère être un membre des Moudjahidine du Peuple, organisation iranienne subversive financée par Israël et les Etats-Unis. Que l'on soit adversaire ou allié de l'Iran, que l'on soit pour ou contre la peine de mort (tout le monde est forcément contre la lapidation), le problème n'est pas là, ce n'est pas la première fois qu'une campagne médiatique contre ce pays est lancée. Les Etats-Unis et Israël, suivis docilement par l'Angleterre et la France, n'ont jamais caché que tous les moyens étaient bons pour diaboliser la République islamique, voire préparer l'opinion pour une invasion en bonne et due forme. Une «affaire personnelle» Loin de l'information, au chapitre du sensationnel, la palme revient bien sûr à Bernard-Henri Lévy, oubliant les principes du droit pour insister sur la torture de cette «chair d'une jeune et belle femme, peut-être aimante, peut-être aimée, et ayant peut-être joui de ce bonheur d'être aimée et d'aimer» (effectivement, elle avait deux amants et a tué son mari). Dans la foulée, le président Sarkozy a déclaré que la condamnée était désormais «sous la responsabilité de la France», pendant que le Premier ministre Fillon offrait son soutien total à Sakineh, «notre soeur à tous», et que l'ex-secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme, Rama Yade, déclarait solennellement faire du cas de Sakineh une «affaire personnelle pour la France». Reste à se poser quelques questions basiques, doit-on défendre une meurtrière ? Et pourquoi l'Arabie Saoudite, alliée des Etats-Unis, de Sarkozy et de Bernard-Henri Levy, n'a-t-elle jamais fait l'objet de telles campagnes, alors que les pratiques y sont beaucoup plus rétrogrades qu'en Iran, que la charia y est appliquée à l'inverse de l'Iran (loi civile) et que la lapidation pour adultère y est réellement appliquée ? Hasard du calendrier, au même moment, une déficiente mentale vient d'être exécutée aux Etats-Unis, dans l'Etat de Virginie, condamnée pour avoir commandité le meurtre de son mari. No comment.