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L'interminable chantier du marché financier
Lenteur de la transition à l'économie de marché
Publié dans El Watan le 04 - 10 - 2010

Entamé dans le sillage des réformes économiques de 1988, le chantier de la refonte du secteur financier et bancaire, hérité de l'ère socialiste, est encore loin d'aboutir.
Si les banques ont enregistré à bien des égards quelques progrès au plan technologique, le marché financier, notamment celui des valeurs mobilières, ne parvient toujours pas à prendre une envolée significative. La première grande victime en est l'investissement resté l'apanage de banques commerciales soumises à de très contraignantes règles prudentielles qui empêchent bon nombre de nos entreprises d'accéder à de salvateurs crédits d'investissement. Dans cette contribution qu'elles nous ont fait parvenir, les économistes Chabha Bouzar et Djamila Fernane de l'université de Tizi Ouzou évoquent les causes du retard à mettre en place ce marché financier, les pertes multiformes engendrées par son absence et les bénéfices qu'une économie émergente comme la nôtre pourrait tirer d'un marché des valeurs mobilières s'il venait à être redynamisé.
La libéralisation et l'ouverture de l'économie, dans laquelle l'Algérie a fondé beaucoup d'espoirs, promettaient, non seulement, de remettre la machine économique en marche, mais également d'aider le pays à construire un authentique système de marché porté par des institutions financières efficaces répondant aux besoins accrus en matière d'investissement et soutenant la mise en œuvre du processus de privatisation des entreprises programmé par les pouvoirs publics. Il devait, entre autres, permettre de lever des fonds durables directement auprès du public évitant ainsi de recourir systématiquement au financement par endettement (banques, Trésor), qui prédomine aujourd'hui encore. Force est de constater que l'activité des marchés financiers n'est actuellement possible que grâce aux contrats de liquidité malheureusement temporaires, avec les quelques sociétés émettrices.
Cependant, après plus d'une décennie, présupposée être l'âge de son développement, le marché financier algérien semble être plutôt à la croisée des chemins, et ce, en dépit de la disponibilité d'une épargne, qui cherche des placements alternatifs et attrayants. La rareté de titres de capital et le nombre réduit de titres de créances ne sont pas en mesure d'assurer une véritable animation au sein de ses institutions. Aujourd'hui, il ne répond pas aux objectifs, qui lui sont conférés et ne joue pas le rôle qui lui fut assigné à sa création. De nombreuses contraintes internes et externes pénalisent son bon fonctionnement et la capitalisation boursière n'a, de ce fait, guère dépassé 0,60% du PIB.
La participation de cette dernière au financement de notre économie demeure encore mineure, comparativement à celle des banques. Cette faiblesse est due, en grande partie, au nombre minime d'actions cotées (d'abord 3 puis 2 à partir de 2006), essentiellement émises par les grandes entreprises nationales et qui, de surcroît, fluctuent peu. Au regard de son total détachement des marchés financiers mondiaux, le marché financier algérien semble avoir été expressément conçu pour n'évoluer que dans les limites géographiques du pays et ne servir qu'aux besoins «spécifiques» des entreprises algériennes. Les investissements en portefeuille des non-résidents et ceux des PME, qui auraient pu booster les transactions boursières n'apparaissent même pas sur la liste des acteurs du marché financier algérien qui, privé de ces importantes sources de financements, a fini par s'enliser dans d'inextricables problèmes financiers qui risquent, si ce n'est déjà fait, susciter la perte de confiance des clients, voire même, l'indifférence des épargnants aux prochaines appels d'offre.
Perpétuelles remises en cause
La réforme du marché financier algérien, sans doute la plus urgente à mettre en œuvre tarde, comme on le constate, à se concrétiser alors qu'elle était inscrite au rang des toutes premières priorités dans les textes fondateurs de la réforme économique de 1988 qui avaient, notamment, défini les nouveaux rôles assignés aux EPE et à l'Etat (à travers les Fonds de participation), permettant d'opérer une distinction fondamentale entre le rôle de l'Etat actionnaire et celui de l'Etat puissance publique. Néanmoins, dans son état initial, la Société des valeurs mobilières n'avait pu fonctionner en raison des difficultés relevant, entre autres, de l'insuffisance de son capital et de l'ambiguïté de ses missions.
Devenue Bourse des valeurs mobilières (Bourse d'Alger) en 1998, l'institution qui avait pourtant fait montre d'un certain dynamisme à ses débuts, ne parvient toujours pas à trouver ses marques en raison, de l'absence d'un cadre économique et juridique adéquat mais, aussi et surtout, des perpétuelles remises en cause des programmes de privatisation. En soumettant les sécessions totales d'EPE à une période d'observation de 5 ans, la loi de finances complémentaire pour l'année 2009 a pratiquement mis fin aux privatisions d'EPE. Les entreprises privées continuent, quant à elles, à faire preuve de frilosité à se faire coter en bourse, la procédure exigeant comme on le sait, une transparence totale des comptes à laquelle les sociétés privées hésitent bien souvent à souscrire.
Force est de constater que sur l'ensemble des emprunts obligataires émis seuls 81,67 milliards de dinars ont pu être collectés auprès du grand public (14,18 milliards pour Air Algérie et 15,9 milliards pour Sonelgaz, Algérie Télécom 21,59 milliards). L'essentiel des ressources collectées, environ 116,51 milliards de dinars, provient des épargnants institutionnels, à l'instar d'Air Algérie (14,18 milliards), Sonelgaz (15,9 milliards), Algérie Télécom (21,59 milliards), etc. Sur le total des sociétés cotées, seulement 20% du capital social de deux sociétés (Saidal et EL Aurassi) est proposé au marché sous forme d'augmentation du capital ou d'OPV. Les autres obligations ne sont pas négociables, certaines sont déjà échues.
Le marché financier, notamment boursier, a pourtant fortement besoin d'être développé. Il y va de la santé de notre économie en général et celle des entreprises en particulier, car l'option actuellement prise de faire appel quasi exclusivement aux banques pour financer le développement des entreprises risque d'être compromis à terme eu égard aux ratios prudentiels extrêmement restrictifs, qu'elles doivent respecter au détriment d'un grand nombre d'entreprises qui ne réunissent pas les critères d'éligibilité aux crédits bancaires. Il paraît donc nécessaire de continuer à faire l'apprentissage des mécanismes financiers au grand public, pour aller vers un nantissement plus intense de l'économie au moyen du marché financier, notamment, boursier.
C'est un marché financier qu'il est, également, important de développer du fait qu'il peut efficacement contribuer à renforcer la Banque d'Algérie dans son rôle de régulateur de liquidité en incitant notamment les banques en surliquidités à convertir une part de leurs avoirs dormants en titres acquis sur les marchés obligataires, boursiers et autres. Par ailleurs, les sociétés d'assurance, en tant qu'investisseurs institutionnels, peuvent jouer un rôle majeur sur le marché financier, non par leur valeur ajoutée, qui n'est pas importante par rapport au PIB marchand, mais grâce aux réserves techniques qu'elles sont obligées de constituer.
Cela nécessite de poursuivre l'assainissement de ce secteur, qui devrait élargir son éventail de produits aux régimes publics de capitalisation et aux assurances de personnes et de crédit. Notons que dans de nombreux pays, une pléthore d'autres investisseurs institutionnels se livrent concurrence pour animer le marché financier : les fonds de sécurité sociale, les fonds de pension, les fonds de chômage, les caisses de garantie, les fondations, les fonds d'investissement, les OPCVM…
En Algérie, malgré les efforts fournis dans le sens de la libéralisation financière, les investisseurs institutionnels se limitent pratiquement aux sociétés d'assurance et au Fond national d'investissement créé tout récemment.
L'utilité d'un marché financier
L'Algérie a, à l'évidence, également besoin d'un marché financier solide pour accompagner la nouvelle stratégie économique basée sur les mécanismes du marché dans la dynamique d'ouverture à laquelle l'Accord d'association avec l'UE et la future adhésion à l'OMC soumettent désormais notre économie. La construction d'une véritable place financière nécessite des conditions adéquates qui risquent de prendre encore du temps, pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles on peut citer la lente formation du marché de l'épargne domestique, pourtant indispensable à un pays qui prétend préparer l'entreprise à affronter l'étape de la mondialisation. Il est, à ce titre, fortement recommandé de diversifier les moyens de placements, car ceux actuellement proposés par les banques se limitent aux stricts produits de «base», de surcroît, très mal rémunérés (à titre d'exemple, en 2010 le taux d'intérêt appliqué aux comptes à terme n'est que de 2%).
L'action de diversification est par conséquent incontournable si on veut réellement canaliser l'épargne intérieure dont une bonne partie est actuellement engloutie par les circuits informels, vers d'authentiques segments du marché financier (marché boursier, marché obligataire etc.).
Le marché financier algérien devrait, en outre, s'ouvrir aux investisseurs étrangers, d'autant plus que des opportunités existent avec les pays d'Europe et les autres pays du Maghreb pour peu qu'on s'atelle résolument à améliorer un climat des affaires considérablement assombries par certaines mesures introduites dans les dernières lois de finances.
On ne peut évidemment évoquer la construction d'un marché financier moderne, sans transformation préalable des mentalités. Il s'agit notamment de transformer les mentalités des «petits porteurs» reposant sur le «culte de la thésaurisation» et celles des gros épargnants, qui optent trop souvent pour la formule peu productive des dépôts bancaires ou celle encore plus hasardeuse du marché informel, plutôt que de miser sur celles de l'actionnariat et des emprunts obligataires. Plutôt qu'un règlement trop rigide qui ferait fuir les investisseurs potentiels vers les circuits informels, nous recommandons une surveillance moins tatillonne, confiée à une commission de contrôle totalement indépendante chargée de faire appliquer la réglementation, mais aussi et surtout de renforcer la confiance dans les procédures de négociation, de cotation et de traitement des éventuels délits d'initiés qui viendraient à être commis.


(*) Chabha Bouzar est docteur d'Etat en économie et Djamila Fernane post-graduante en management à l'université de Tizi Ouzou


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