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20 ans de procédures
Les plus grands procès d'El Watan
Publié dans El Watan le 08 - 10 - 2010

El Watan a 20 ans. Le bilan ? 240 mois durant lesquels une parution quasi-quotidienne a été assurée. Et autant de procès. Car, l'on s'en doute, les pérégrinations d'un collectif soucieux de ne plaire à nul autre qu'aux lecteurs n'auront pas été sans dommages collatéraux.
Ce que la corporation se plait à appeler «les risques du métier», s'est transformé, pour la presse indépendante « peu complaisante », en routine et quotidien d'un métier où « sorties sur le terrain » sont alternées par de courantes bifurcations au palais de justice.
Quelles ont été les affaires les plus marquantes de ces décennies ?
Une rétrospective exhaustive n'est pas chose aisée, faute d'espace, mais aussi et surtout tant tous les procès intentés à El Watan ont marqué par le peu de cas qu'il est fait du respect du droit à l'information. « Mais certains restent ancrés plus profondément dans la mémoire, de par leur durée, leur contenu ou par le plaignant », estime Maître Khaled Bourayou, avocat du journal.
Il s'est replongé dans ses volumineux dossiers, et a sélectionné les affaires qui, à son sens, retrace le mieux le parcours d'El Watan. En filigrane se dessinent l'évolution et les remous d'un pays, ainsi que l'attitude du pouvoir envers les journalistes, dès lors qu'ils osent élever aux ronrons officiels des voix discordantes. Ou alors « prématurées », comme ce fut le cas en 1993, lorsque, à l'aune d'un terrorisme grandissant, El Watan fait sa une sur un attentat contre une caserne à Ksar El Hirane, Laghouat, qui aura coûté la vie à cinq gendarmes.
A la suite de cet article, une escouade de gendarmes déboulent au siège du journal, et embarquent les principaux responsables présents. « En fin de compte, Omar Belhouchet directeur du journal, ainsi que ses principaux collaborateurs, Abderrazak Merad et Tayeb Belghiche, Omar Berbiche, Ahmed Ancer, suivis de Nacéra Benali, l'auteur de l'article, sont interpellés et gardés à vue pendant 72 heures », se rappelle Me Bourayou. Sous les chefs d'accusation d' «atteinte à la sûreté de l'Etat, atteinte à corps constitué et atteinte au moral des troupes», ils sont incarcérés pendant 4 jours. Le quotidien est suspendu pendant 15 jours, sous le prétexte que cette information était « prématurée ».
S'ensuit une longue bataille judiciaire, qui ne trouvera son épilogue qu'au bout de 7 ans, le 15 octobre 2002, lorsque la Cour suprême confirme la relaxe de l'ensemble des prévenus. « La poursuite de l'instruction a été plus que pénible ! Afin de sanctionner les journalistes, au lieu de les laisser en prison, l'on leur a fait subir une procédure harassante, accablante, dure, au-delà du mandat de dépôt, de la liberté provisoire. Sept années de va-et-vient incessants, pour aboutir à une relaxe ; n'y a-t-il pas une erreur du ministère public ? », s'indigne l'avocat. D'autant plus qu'entre-temps, l'information sécuritaire s'étalait et était commentée en long et en large des manchettes des publications. «Ce qui prouve que dès lors que vous entrez en contradiction avec le pouvoir, les représailles ne se font pas attendre», explique Me Bourayou.
« Cachez moi ces vérités que l'on ne saurait voir ! »
Et si l'Etat avait fait de la presse, dans une certaine mesure, un allié dans la lutte contre le terrorisme, il eut suffi que celle-ci remette en cause la gestion des biens publics, pour que le couperet de la répression s'abatte. Ce qui arriva à El Watan, lorsque le 25 février 1995 celui-ci publia une enquête concernant l'importation douteuse de scanners. « L'article incriminé était signé Djillali Hadjadj, et c'était la première grande affaire de corruption et de dilapidation des deniers publics à avoir été dénoncée par le journal. Omar Belhouchet fut mis sous contrôle judiciaire, suite à une plainte du ministère de la Santé », raconte-t-il. Contre toute attente, la relaxe est prononcée par la cour d'Alger le 26 juin 1995.
Les concernés pensaient en avoir fini avec cette affaire, jusqu'à ce qu'une autre plainte soit déposée, cette fois-ci par le ministère public et le ministère de la Santé, pour « outrage à corps constitué ». « Cela relevait de la diffamation, mais l'outrage permet de jouer sur les qualifications, et ainsi faire montre de techniques plus répressives», affirme Me Bourayou. L'affaire traîne alors en longueur. Condamnés, en 1996, à des amendes fermes, Omar Belhouchet et Djillali Hadjadj sont finalement relaxés en 2002. « Au lieu d'affaiblir le journal, cette affaire l'a anobli. Il s'était résolument lancé dans une bataille contre la gabegie et la corruption. Et 15 ans après, voilà que les faits nous donnent raison : voici un pays livré pieds et poings liés à la corruption, un pays pillé et rongé par les passe-droits et la dilapidation. Si seulement l'on avait écouté la presse, l'on ne serait pas dans cette situation », commente l'avocat. Mais force est de constater que rapporter des vérités et détenir des preuves «en béton» n'influe pas obligatoirement sur à la tournure que peut prendre un procès.
Pour preuve « l'affaire de la clinique Abderrahmani ». Au cours de l'année 1998, El Watan, sous la plume de Salima Tlemçani, publie une série d'enquêtes concernant l'augmentation inexpliquée du nombre de décès dans cette clinique de Bir Mourad Rais. « Cette proportion anormalement élevée de patients qui n'ont pu être réanimés était à imputer aux valves défectueuses utilisées lors de l'anesthésie. Ce qui impliquait des soupçons de connivence entre les responsables de la structure et la société productrice de ces consommables», se rappelle Me Bourayou. Tout au long du procès, la défense présente des preuves irréfutables, émanant de médecins, de l'état civil de l'APC ou autres documents.
Une autre pièce maîtresse est versée au dossier : une note confidentielle, faite à la présidence de la république, concernant l'enquête d'El Watan. Les services de sécurité y affirment que les informations rapportées par Salima Tlemçani «sont vrais dans leur globalité ». Pourtant, cela ne suffit pas à convaincre. Un jugement prononcé le 26 mai 1999 condamne Belhouchet à une amende ferme, et Tlemçani à deux mois de prison avec sursis. Confirmé en appel, le verdict sera annulé par la grâce accordée par l'Etat en 2006. « Ce qui veut dire que si cette amnistie n'aurait pas été décidée, ils auraient été condamnés pour n'avoir rapporté que la stricte vérité !», s'emporte Me Bourayou.
« Betchine et les autres… »
D'ailleurs, la justice n'épargne pas les journalistes, et ce, même lorsqu'ils n'ont fait que rapporter, mots pour mots, les propos d'autres. De nombreuses affaires l'illustrent, à l'instar de moult plaintes intentées par la DGSN, le ministère de l'Intérieur, ou encore la Gendarmerie nationale. « Les procès tournaient autour de la levée du secret professionnel. Et ce, en contradiction avec les dispositions de la loi sur l'information, qui consacre la protection des sources comme inviolable », confie l'avocat. D'autant plus qu'à la barre n'étaient présents que les accusés, les plaignants s'abstenant d'honorer les convocations. Et si, faits assez rares, les deux parties ont le loisir d'être confrontées, cela donne lieu à des procès d'anthologie. En 1999, plusieurs articles paraissent dans la presse en réaction à la démission du général Betchine, et à son troublant témoignage au cours du procès Sider.
Le général este en justice plusieurs titres de la presse nationale, dont El Watan. «C'était la première fois qu'un général et qu'un journaliste, directeur de publication, étaient devant un juge sur un pied d'égalité. C'était un procès foncièrement et éminemment politique, que l'on aurait voulu voir plus souvent », regrette Me Bourayou. S'ensuivit une mémorable joute orale entre les deux, qui a duré près de 8 heures, dont l'avocat n'a pu oublié des bribes. « Belhouchet s'est défendu : ‘‘Mon intention n'était pas de toucher à Betchine, la personne, mais à l'homme politique. J'assume ce que j'ai écrit et dit'. Puis la juge lui demanda de donner ses sources. ‘‘ Mes sources ! Ce sont les 4000 cadres jetés en prison ! C'était une démarche politique''. Ce à quoi Betchine a répondu : ‘‘Je ne peux assumer seul ce qui s'est passé. Ils sont en train de me diaboliser. Je ne peux endosser seul tous les maux du pays''. Mémorable ! », relate, dans de grands gestes des mains, Me Bourayou.
A l'issue de ce qui est considéré par l'avocat comme un «excellent repère judiciaire», Omar Belhouchet est condamné à une amende ferme de 1500 dinars, à la publication du jugement dans la presse, et à verser un dinar symbolique pour la partie civile. Peine insignifiante certes, mais « l'ordre était ainsi préservé ».
Car les condamnations ont souvent été des plus sévères. Et encore plus lorsqu'elles sont cumulées. Ainsi, en 20 ans, si ce n'étaient les appels et autres pourvois en cassation, en plus des amendes faramineuses demandées, le responsable pénal, le directeur de la publication Omar Belhouchet a été condamné à quelque 80 mois de prison. Soit près de 7 ans…


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