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Silence de l'Etat français
Evénements du 17 octobre 1961
Publié dans El Watan le 17 - 10 - 2010

Comme chaque année, depuis plus de quatre décennies, un rassemblement est organisé au Pont Saint-Michel cet après-midi pour «exiger la reconnaissance officielle du crime commis par l'Etat français» le 17 octobre 1961, lorsque des dizaines de milliers d'Algériens manifestant pacifiquement contre le couvre-feu qui leur avait été imposé par Maurice Papon, alors préfet de police de Paris, ont été arrêtés, internés, torturés, assassinés et nombre d'entre eux refoulés dans des camps en Algérie.
La consigne donnée par la Fédération de France du FLN était claire : les manifestations doivent être pacifiques. Pas de provocation. Pas de riposte aux provocations. Pas de port d'arme, serait-ce une épingle. Ceux qui œuvrent inlassablement depuis plus de quarante ans à cette reconnaissance ne baissent pas les bras. En attendant que les plus hauts responsables de l'Etat français reconnaissent la vérité, ils ont, de par leur obstination et leur détermination, obtenu que «cette journée portée disparue» et les suivantes sortent de l'oubli. «La vérité est en marche», affirment-ils. Il a fallu pour ce faire plusieurs décennies de mobilisation. Des élus à différents niveaux avaient demandé une commission d'enquête. Les plus hautes autorités de l'Etat depuis le général de Gaulle en passant par le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur jusqu'au préfet de police avaient refusé d'accéder à ces demandes. Un des artisans de ce travail de mémoire est Jean-Luc Einaudi, auteur d'un livre référence La bataille de Paris. Le 17 octobre 1961 aux éditions Le Seuil, en 1991. Dans une interview qu'il nous avait accordée au moment de la sortie de son livre (El Watan du 17 octobre 1991), Jean-Luc Einaudi nous indiquait que «dans les événements du 17 octobre 1961, on a assisté à une volonté d'étouffement».
Des journaux étaient saisis: Vérité-Liberté, Temps modernes, la revue Partisans avec un article de François Maspéro, un livre, un film interdits. Hervé Bourges écrit dans Témoignage Chrétien du 27 octobre 1961 : «C'est une rude leçon que viennent de nous donner les Algériens de Paris parce que jamais ils ne seraient descendus dans la rue si nous, journalistes, avions mieux informé une opinion chloroformée des réalités d'une guerre qui s'est établie sur notre sol, et si nous, démocrates, avions pu taire nos divergences et unir nos forces.» Le 19 octobre 1961, le ton de la presse commençait à changer et à parler de «violence à froid» sur les «manifestants arrêtés» (le Monde). Une enquête menée au Parc des expositions, centre d'internement, est publiée sans signature dans le numéro 13 du journal Vérité-Combat qui sera saisi. Quelques jours plus tard l'Humanité, Libération, France-Soir, Témoignage Chrétien, France Observateur, l'Express, le Monde font paraître des témoignages accablants. Gilles Martinet, rédacteur en chef de France Observateur et Claude Bourdet, éditorialiste, avaient rédigé un article dans lequel ils demandaient une enquête, alors qu'au moment de boucler le journal, ils recevaient la visite de policiers indignés par la violence de leurs collègues à l'encontre des manifestants. Quelques photographes, comme Elie Kagan, ont bravé l'interdiction. Jacques Panijel, chercheur au CNRS et membre du comité Maurice Audin, avait fait un film Octobre à Paris qui n'a eu un visa commercial qu'en 1999. Le silence demeure la règle dans les milieux officiels.
Contre l'oubli et pour la reconnaissance
Le défunt George Mattei a fait partie des quelques personnes qui ont réintroduit le 17 octobre 1961 dans la mémoire collective. Il avait adhéré à la Fédération de France après sa démobilisation d'Algérie et après avoir rédigé dans la revue Esprit l'un des deux premiers témoignages sur la torture pratiquée dans les rangs de l'armée française. George Mattei nous rappelait que c'est seulement en 1980 dans Libération que cela a commencé à bouger avec le journaliste Jean-Louis Péninou «témoin de la manifestation et militant anticolonialiste qui a fait publier le premier dossier de presse avec le peu de matériel que nous avions».
Des rescapés du massacre et des proches de manifestants décédés ont déposé, en février 1998, une plainte pour crime contre l'humanité devant la justice française, par l'intermédiaire de la Fondation du 8 Mai 1945. La plainte des familles avait été rédigée et déposée par maîtres Bentoumi, Nicole Dreyfus, disparue il y a quelques mois et Marcel Manville. Ce dernier, ami de Frantz Fanon, est décédé le 2 décembre 1998 en plein tribunal, alors qu'il s'apprêtait à plaider devant la chambre d'accusation. Le 26 mars 1999, la justice française, en déboutant Maurice Papon de sa plainte en diffamation contre Jean-Luc Einaudi, reconnaissait officiellement pour la première fois la répression du 17 octobre 1961 par la police de Paris au nom de l'Etat français. Maurice Papon avait intenté un procès en diffamation, qu'il avait perdu, à Jean-Luc Einaudi.
Dans son livre (cité plus haut), Jean-Luc Einaudi accuse l'ancien préfet de Paris d'avoir donné l'ordre de tirer sur les manifestants, rassemblés pacifiquement. «L'histoire a fait aujourd'hui un grand pas en avant. J'ai envie de dire merci à M. Papon. Vous vouliez me faire taire, M. Papon. Dès le début, j'ai voulu que ce procès soit un moment de vérité. Il y a eu un moment de vérité grâce à vous», s'était adressé Jean-Lucc Einaudi à Maurice Papon (El Watan du 17 octobre 1999). Moins de deux mois plus tard, le Premier ministre socialiste, Lionel Jospin, le 5 mai 1999, annonçait l'ouverture des archives aux chercheurs afin de «faciliter les recherches historiques sur la manifestation organisée par le FLN, le 17 octobre 1961, et plus généralement sur les faits commis à l'encontre des Français musulmans d'Algérie durant l'année 1961». La première plaque commémorative est inaugurée à Paris par Bertrand Delanoë le 17 octobre 2001 avec cette inscription : «A la mémoire des Algériens victimes de la répression sanglante lors d'une manifestation pacifique.» A quand la reconnaissance officielle ?


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