Hier, le Premier ministre Ahmed Ouyahia a présenté devant les députés sa déclaration de politique générale, assorti d'un bilan de l'action gouvernementale. Mesure décalée dans l'agenda de l'exécutif au regard de la Constitution, mais la forme a été soignée et les députés ont joué le jeu de la présence exceptionnelle à l'hémicycle. Parmi les nombreux sujets abordés : deux grandes omissions, la Défense et les Affaires Etrangères. Industries : Une part de 10 % dans la PIB en 2014 Le gouvernement projette de porter à l'horizon 2014 la part de l'industrie nationale à 10 % dans la production intérieure brute. «Malgré une timide reprise enregistrée durant ces cinq dernières années, l'industrie nationale a fortement régressé dans la place qu'elle occupe dans la valeur ajoutée nationale : 5,3 % en 2009 soit moins que l'administration avec 6,8 % la même année», a constaté le Premier ministre. Selon lui, les entreprises industrielles privées font face à des difficultés financières et à un environnement hostile lié à l'économie informelle. «Les entreprises industrielles publiques ont quant à elles été dans leur grande majorité marginalisées du fait de leur déstructuration financière», a-t-il ajouté. D'après Ahmed Ouyahia, les capacités financières limitées du privé algérien l'ont empêché de reprendre des unités industrielles publiques d'envergure alors que certains partenaires étrangers ont choisi de «confiner l'économie algérienne au rang de simple marché». «Certaines expériences -limitées- d'investissements étrangers se sont révélées fondées sur une conduite spéculative déloyale», a-t-il estimé. Il a indiqué que le gouvernement est décidé à soutenir les entreprises publiques qui disposent d'un marché et à mettre à niveau les entreprises privées. «Les PME privées bénéficieront d'un programme public de soutien de leur mise à niveau qui est sans commune comparaison avec tout ce qui leur a été offert jusqu'à présent et qui reflète une forte volonté politique», a-t-il insisté. A titre d'exemple, l'Etat prendre en charge 20 % de la dépense liée à la certification de l'entreprise dont le coût est limité à 5 millions de dinars. L'Etat est disposé également à accompagner la modernisation des entreprises publiques en l'aidant à accéder aux crédits bancaires. «Le trésor public accompagne l'entreprise dans le rééchelonnement de sa dette bancaire ou dans la mobilisation de crédits bancaires qu'il garantit et bonifie», a indiqué Ahmed Ouyahia.
Le Premier ministre justifie les nouvelles mesures sur l'investissement Les critiques émises par les opérateurs économiques étrangers et nationaux sur les mesures relatives à l'investissement introduites dans la loi de finances complémentaire pour 2009 et reconduites par la loi de finances 2010 sont qualifiées d'alarmistes par le Premier ministre, Ahmed Ouyahia. La déclaration de politique générale, présentée hier à l'APN, était l'occasion pour lui de «réagir sans polémique» à ces critiques. C'est aussi la première fois que le Premier ministre s'exprime sur cette question sensible. Le gouvernement, d'après lui, n'a pas l'intention de priver l'Algérie de l'apport des investissements étrangers. «Les chiffres de la Banque d'Algérie, institution responsable du suivi des mouvements transfrontaliers des capitaux, confirment que les investissements étrangers hors hydrocarbures n'étaient pas là substantiellement, avant les mesures prises par le gouvernement», a-t-il indiqué. Il a cité des données de ces investissements depuis 2000 jusqu'à 2008. Ainsi, la valeur de ces investissements était de 21 millions de dollars en 2000, 434,5 millions de dollars en 2005, 928,4 millions de dollars en 2006 et 1,48 milliard de dollars en 2008. «L'année 2009, qui a vu la mise en œuvre des nouvelles dispositions applicables aux investissements étrangers, n'a pas vu un recul des apports étrangers hors hydrocarbures qui ont atteint 1,6 milliard de dollars», a insisté Ahmed Ouyahia. Il a rappelé que le Conseil national de l'investissement (CNI) a octroyé des avantages (exonérations fiscales) à des promoteurs de projets d'une valeur globale de 11,1 milliards de dollars. «L'obligation pour l'investisseur étranger de s'associer avec des capitaux algériens tout en gardant la gestion de la réalisation n'est pas une ‘spécificité' algérienne. C'est une règle en vigueur dans de nombreux pays, y compris émergents. C'est un moyen de faire bénéficier l'économie nationale du savoir- faire des partenaires», a-t-il indiqué. Selon lui, certaines expériences d'investissements étrangers se sont révélées fondées sur une conduite spéculative déloyale. Revenant brièvement sur la privatisation des entreprises publiques, il a accusé certains partenaires étrangers de vouloir confiner l'économie algérienne au rang de simple marché par leur refus de reprendre ces unités industrielles. «Quel drame y avait-t-il à procéder à quelques ajustements de notre démarche d'économie de marché, dès lors que ce redressement n'est pas synonyme de rupture avec l'efficacité et la compétitivité économiques ?», s'est-il interrogé, avant de poursuivre : «Quel est ce dogme qui, au nom de la liberté d'entreprendre, devait nous empêcher d'introduire des correctifs appropriés à la lumière des constats, des expériences et des circonstances, au moment même où la crise économique mondiale a réhabilité ailleurs le rôle économique de l'Etat, et surtout remis en cause le primat de la libre spéculation sur l'économie productive ?» Selon Ahmed Ouyahia, l'Algérie, qui faisait l'objet «d'un embargo international non déclaré», a concédé de larges libertés aux investisseurs étrangers. Aussi, a-t-elle le droit, d'après lui, de reprendre la majorité dans les investissements extérieurs chez elle (la règle de 51/49). «Ce même principe prévaut dans d'attrayantes destinations de l'investissement étranger, au Moyen-Orient et en Asie», a-t-il noté.
Dépenses publiques : Les programmes maintenus en dépit du déficit budgétaire Le gouvernement prévoit un important déficit budgétaire à la fin de l'exercice 2010. Cette situation est expliquée par les dépenses liées au nouveau programme quinquennal d'investissements publics (2010-2014), à la hausse des salaires des agents de l'Etat et au recrutement dans la Fonction publique. Cela est également lié aux transferts sociaux qui ont dépassé les 1200 milliards de dinars en 2009. «Une année qui s'est achevée par un déficit budgétaire sensible, le premier de la décennie», a annoncé le Premier ministre lors de la déclaration de politique générale présentée hier à l'APN. Le Fonds de régulation des recettes des hydrocarbures sera sollicité pour alléger le déficit. «Destiné à son origine à couvrir la charge budgétaire du remboursement de la dette extérieure, le FRR accueille désormais une épargne publique stratégique qui accompagnera le financement du programme d'investissement de l'Etat», a précisé le Premier ministre. Il a indiqué que le montant du FRR est passé de 1842 milliards de dinars en 2005 à 4316 milliards de dinars fin 2009, soit presque 41 milliards de dollars. Le FRR prend en charge le différentiel entre le prix réel du baril de pétrole sur le marché et le prix fixé dans la loi de finances. Selon Ahmed Ouyahia, le remboursement partiel de la dette publique interne, ramené à 800 milliards de dollars en 2009, offre un second levier au Trésor public pour poursuivre le financement du plan 2010-2014. Il a souligné que l'appareil économique n'arrive pas encore à absorber les importantes liquidités financières dans le pays. D'où leur orientation vers le financement des projets publics d'équipement. «Tout emprunt extérieur demeurera exclu», a précisé le Premier ministre. La dette extérieure est fixée actuellement à 4 milliards de dollars. Selon lui, le programme actuel d'investissements publics n'aura aucun risque sur la balance des paiements du pays «et donc sur son indépendance financière future vis-à-vis de l'extérieur». «En dépit d'une croissance économique préservée et d'une augmentation constante de la fiscalité ordinaire, les recettes tirées des hydrocarbures sont d'un poids tel sur les revenus du Trésor que leur régression ne pouvait rester sans effet sensible», a analysé Ahmed Ouyahia. Selon lui, l'impact du marché mondial des hydrocarbures a fortement heurté les revenus du Trésor à partir de 2009. «La fiscalité pétrolière globale a chuté de 42%, passant de plus de 4000 milliards de dinars en 2008 à 2400 milliards de dinars en 2009. Cette perte ne pouvait être comblée par la hausse de 20% enregistrée par la fiscalité hors hydrocarbures», a-t-il dit. Les recettes d'exportation d'hydrocarbures ont reculé de 43%, passant de 77,1 milliards de dollars en 2008 à 44,4 milliards de dollars en 2009. «Une stabilisation des importations de biens et services à leur niveau de l'année précédente a évité au pays de connaître en 2009 un retour à une balance de paiement négative après de longues années : celle-ci a clôturé l'année dernière avec un symbolique excédent de 410 millions de dollars seulement», a déclaré Ahmed Ouyahia. Les Algériens doivent, selon lui, tout faire pour procurer au Trésor plus de recettes pour que l'Etat puisse soutenir le poids de ses dépenses. «En 2009, toutes les recettes de fiscalité ordinaires dépassaient de peu la seule facture des transferts sociaux de l'Etat. Toutes les recettes fiscales de cette année, y compris la fiscalité pétrolière, suffisent à peine au financement du budget de fonctionnement», a-t-il appuyé. Il n'a pas manqué de noter que 100% des importations du pays sont réglées par des devises provenant des hydrocarbures «qui sont la richesse de toute la nation».
Décryptages -Lutte contre le terrorisme «La politique de lutte contre le terrorisme a permis l'isolement des derniers groupes terroristes, d'autant que les pouvoirs tiennent à mettre en œuvre rigoureusement les dispositions énoncées dans la charte pour la paix et la réconciliation nationale.» -Adnane Bouchaib. Avocat et vice-président de l'association SOMOUD Ça n'a aucun sens d'autant plus que les dispositions, légalement, ne sont plus applicables. Je rappelle que dans le texte de la charte, il est fait mention d'un délai de six mois accordés aux terroristes pour se rendre aux autorités. Ce délai est largement dépassé. Je pense plutôt que ce passage est annonciateur d'une amnistie générale. C'est dans l'air depuis quelque temps, et il n'y a pas de fumée sans feu. On veut préparer l'opinion publique à cette annonce. Par contre, ce qui est troublant c'est l'utilisation de l'adverbe «rigoureusement» dans ce passage, comme si on voulait signifier que le président ne pourra pas prendre d'autres mesures que celles contenus dans la charte alors qu'il en a la possibilité. On encadre ses prérogatives. -Réforme de la justice «Cinq cent magistrats seront formés annuellement durant les cinq prochaines années. Mise en place de quatre pôles judiciaires spécialisés au développement de la coopération internationale, à l'informatisation des documents et à la réalisation à distance des pourvois devant la cour suprême.» -Maître Bourayou. Avocat pénaliste au barreau d'Alger. Je me félicite de toutes mesures qui visent à renforcer les moyens de la justice et qui permettent qu'une justice soit rendue par des magistrats compétents. Mais ces mesures ne peuvent être efficaces que si elles garantissent l'indépendance du juge. Il faut arrêter de tourner autour du pot. La réforme de la justice n'aura un sens que si le juge est à l'abri de toute immixtion de la part des puissants, du politique. Il faut rassurer le juge, le mettre à l'abri de la peur de la sanction. Nous avons d'excellents magistrats qui, malheureusement, travaillent dans une forme de psychose, dans la peur d'appliquer la loi. Toute la question de la justice est là et pas ailleurs. Je doute que le pouvoir accepte de laisser la justice en dehors de sa zone d'influence. -Renaissance de l'industrie nationale «Il est erroné de croire que les lois de finances complémentaires pour les années 2009 et 2010 risquent de priver l'Algérie de l'apport des investissements étrangers.» -Slim Othmani. Président du CA de Nouvelle Conserverie Algérienne «La vérité est connue de tous ! Les lois de finances complémentaires de 2009 et 2010, ont eu des incidences négatives auprès des investisseurs étrangers car la formulation des textes a donné lieu à des interprétations abusives. Elles ont crée une forte incertitude. Il faut arrêter de parler de souveraineté nationale quand l'Algérie importe 90% de ce qu'elle consomme. Je suis d'accord pour que le secteur de la distribution soit réservée aux nationaux, comme cela se fait chez nos voisins par contre pour l'industrie c'est une aberration. En outre, ces deux textes sont discriminatoires envers les Algériens non résidents en Algérie car elles les obligent à s'associer avec des résidents pour pouvoir investir dans leur propre pays. Ce n'est pas avec des méthodes brutales qu'on va attirer des IDE (investissements directs étrangers).» Publicité : «La publicité est loin d'être un monopole public. Pour un CA de 13 milliards en 2009, seul 2 milliards sont revenus à l'ANEP. Les nouveaux textes sur l'information et la publicité permettront un surcroît de professionnalisme et de déontologie.» Ce n'est pas l'annonce de nouveaux textes devant régir la publicité qui va calmer les craintes des agences de communication. Pour la plupart, elles travaillent dans le flou le plus total. Elles ne savent pas de quoi demain sera fait. «Les agences de communication sont des entreprises comme les autres qui ont besoin d'un environnement stable et des lois claires pour pouvoir travailler dans la sérénité, précise un professionnel du secteur. Et pour l'heure ce n'est pas le cas. D'autant que le gouvernement vient de décider de prélever 1% du CA des agences pour le reverser dans un fond consacré à la culture.» Les agences ne s'y opposent pas mais elles attendent plus d'éclaircissements pour savoir comment ce prélèvement va avoir lieu et sur quelles bases.