Le scandale qui vient d'ébranler la Banque nationale d'Algérie (BNA) vient encore une fois mettre l'opinion publique devant la triste réalité du secteur financier algérien. Tour à tour, banques publiques et privées se heurtent depuis le début de l'ouverture économique à d'immenses scandales à répétitions qui ont eu pour conséquence un préjudice financier énorme, estimé par certains spécialistes à quelque 160 milliards de dinars. Les banques ont constitué pendant longtemps la tirelire de certains pontes du système, de leurs protégés et de prête-noms ainsi que des barons de l'import-import. Les nombreuses affaires instruites par la justice tardent tellement à connaître la fin qu'elles finissent souvent par s'arrêter au niveau des lampistes. Les exemples ne manquent pas mais la plus grande escroquerie du siècle a été incontestablement l'affaire de la banque El Khalifa. Créée vers la fin de l'année 1998, cette institution a connu sa banqueroute en 2002, après que la commission bancaire a relevé une série d'anomalies en matière de transactions et de transferts de fonds de et vers l'étranger. Une mission de l'IGF a confirmé les premiers constats et la décision de bloquer les transferts a été prise par les plus hautes autorités du pays. Quelques mois plus tard, la banque se retrouve en situation de banqueroute, ce qui pousse à l'effondrement de tout le groupe Al Khalifa. Pour la seule banque, l'ardoise laissée au Trésor public a été estimée par Ahmed Ouyahia, chef du gouvernement, à 100 milliards de dinars. Pendant la même période, la Banque (privée) commerciale industrielle algérienne (BCIA) se retrouve elle aussi au centre d'un grand scandale lié à de vraies fausses traites commerciales avalisées par les agences de la Banque extérieure d'Algérie (BEA) de l'Oranie, qui ont coûté au Trésor public, selon l'expertise judiciaire, la somme de 13,2 milliards de dinars, partie dans les comptes de gros commerçants et importateurs ayant pignon sur rue à l'Ouest, et ce, bien sûr avec la complicité de certains responsables et agents de la BEA. vraies fausses traites Le pot aux roses a été découvert par les services de la brigade économique et financière d'Oran, après la saisie des vraies fausses traites d'un des clients de la BCIA Sotrapla, d'une valeur de 5 milliards de dinars, destinée à l'importation de sucre. L'enquête a abouti à l'inculpation de 68 personnes, dont 33 sont en détention préventive, alors que le patron de la banque, Kherroubi, reste toujours en état de fuite à l'étranger. Ce scandale est intervenu, alors que l'affaire des fausses domiciliations bancaires a éclaboussé la Banque de développement locale (BDL), notamment ses agences de Bir Al Ater, de Tebessa. Il s'agissait en fait d'opérations d'importation de marchandises fictives, avec de fausses domiciliations bancaires menées par des commerçants, notamment de Bir El Ater. L'enquête a démarré à Alger, où la brigade économique et financière de la sûreté de wilaya a convoqué une quarantaine de commerçants, y compris de vieilles personnes au nom desquelles les registres du commerce étaient inscrits sans qu'elles le sachent. En fait, les services de sécurité se sont retrouvés devant un vaste réseau de trafiquants dont les barons avaient réussi à prendre la fuite avant le coup de filet pour s'installer en Tunisie et en Turquie avec des fortunes inestimables. Le préjudice causé par ces opérations frauduleuses estimé par un rapport des services des douanes a atteint des milliards de dinars. A ces affaires se sont ajoutées celles liées aux prêts bancaires jamais remboursés ou accordés sans aucune garantie dans des conditions douteuses à des pontes du système et à leurs proches. La BEA par exemple a octroyé un montant de 10 milliards de dinars à un richissime entrepreneur, très connu à Constantine, sans aucune garantie et sans qu'un sou ne soit remboursé. Cumulés, les montants des prêts accordés entre 1998 et 2001 en dehors de la réglementation ont mis les banques publiques dans une situation difficile au point où certaines ont failli connaître la banqueroute, si ce n'est l'intervention de l'Etat, à travers une opération d'assainissement qui a coûté des centaines de milliards de dinars. opération de détournement Ces scandales en cascade n'ont malheureusement pas servi de leçon aux responsables, puisque l'une des plus importantes banques publiques, la BNA, vient de faire l'objet d'une machiavélique opération de détournement de fonds dont les conséquences sur la trésorerie de celle-ci ont été estimées à 15 milliards de dinars. L'enquête n'a pu pour l'instant constater avec preuves à l'appui que le trou de 2 milliards de dinars, dans les agences de la BNA de Koléa, Cherchell et Bouzaréah. Cette affaire a été prise en main par la justice, qui a décidé sept mises sous mandat de dépôt, de simples lampistes alors que les véritables auteurs et bénéficiaires de ces sommes colossales subtilisées sont toujours à l'ombre. Ces opérations se sont déroulées entre les années 2002 et 2005 sans que les responsables de la banque mère se rendent compte, et sans que les différents contrôles du commissaire aux comptes les relèvent. Comme cela a été le cas d'ailleurs pour la Banque algérienne de développement agricole (BADR) d'Oran où les services de police viennent de lever un lièvre en ouvrant une enquête sur un trou constaté dans les caisses de l'agence Miramar, estimé pour l'instant à plus 100 millions de dinars mais qui pourrait, nous a-t-on précisé, dépasser les 700 millions de dinars. Quelques mois plutôt, dans la même région, la Caisse nationale d'épargne et de prévoyance (CNEP) a fait l'objet d'un vol d'une somme de 269 000 euros, en l'espace d'une semaine seulement et en plusieurs tranches. Les auteurs de ce détournement des caisses de cette banque ne sont autres que ses propres employés et responsables actuellement sous le coup de la justice. Cette série de scandales montre la déliquescence dans laquelle se trouve le secteur financier algérien. Situation qui a certainement poussé l'ex-ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, à déclarer en avril 2002 que " le système financier tel qu'il se présente est une menace pour la sécurité de l'Etat ". Entre temps, rien n'a été fait pour apporter un changement. Les projets d'ouverture du capital des institutions financières traînent depuis des années. Des forces occultes terrées dans les rouages de l'Etat font tout pour les bloquer afin de continuer à profiter au maximum de la rente sans être inquiétées.