Au moment où les Algériens préparaient la fête de l'Aïd en cette nuit de samedi à dimanche derniers, l'équipage du navire Béchar, appartenant à la Compagnie nationale de navigation (Cnan), se battait contre la mort. Amarré au port d'Alger, ce céréalier a été emporté par une violente tempête qui lui a fait rompre ses amarres avant d'échouer sur les enrochements de la jetée Kheireddine, à quelques centaines de mètres du port d'Alger. A son bord, 20 membres de l'équipage, parmi lesquels 3 sont décédés et leurs corps repêchés ; deux autres ont pu être sauvés, alors que le reste, soit 13 marins, reste toujours porté disparu. Un navire turc, le Wanda, a également subi d'importants dégâts ayant causé la mort d'un de ses matelots et des blessures à son second capitaine. En outre, un autre navire de la Cnan, le vraquier Batna, a été violemment drossé par la houle et les rafales de vent sur les rochers des Sablettes, à l'est du port d'Alger. En tout, sept gros navires, quatre cargos et trois porte-conteneurs, ainsi que de nombreux chalutiers ont vu leurs amarres rompues par cette tempête de force huit, selon les services de la météo. Les équipes de secours composées des gardes-côtes, de la marine nationale, de la Protection civile et de l'Epal, poursuivaient hier leur recherche pour retrouver les disparus après avoir stoppé l'opération durant la nuit de dimanche à lundi à cause des vents violents balayant la baie à une vitesse de 100 km/h, soulevant sur leur passage des vagues de huit mètres de hauteur. Cette tempête a également rompu les amarres de nombreux autres navires dans les ports de Béjaïa, Djendjen, Arzew et Skikda sans - fort heureusement - provoquer des pertes humaines. Encore une fois, l'Algérie compte ses morts victimes de l'irresponsabilité et de l'incompétence de ceux qui ont pour mission de gérer les situations de crise. En effet, les nombreux témoignages des familles des marins du navire Béchar ont fait état de l'alerte donnée le samedi à 15 h. « Mon frère nous a appelés sur son téléphone portable vers 15 h. Il nous priait de faire quelque chose. Il disait que le bateau était en train de chavirer et la panique s'est emparée de l'équipage. Il nous a expliqué qu'au niveau de la capitainerie, les responsables les rassuraient en leur annonçant l'arrivée des secours. Mais l'attente a duré près de 24 heures », avait déclaré la sœur d'un des naufragés. Ce témoignage concorde avec celui d'un cadre de la Cnan, qui a affirmé sous le couvert de l'anonymat que le bulletin d'alerte des services de la météo annonçant une forte tempête a été diffusé 24 heures avant la catastrophe. « La capitainerie a reçu ce message, mais nous ne savons pas pourquoi le message n'a pas été suivi au niveau de la cellule de sécurité chargée de déclencher le plan Orsec. Il y avait suffisamment de temps pour permettre aux navires de les remorquer pour les éloigner du port. Est-ce uniquement parce que l'Epal n'a pas de remorqueurs ? », s'est interrogé notre interlocuteur. La cellule de sécurité, qui regroupe les gardes-côtes, la Protection civile et l'Epal, ne semble pas avoir réagi à temps pour maîtriser la situation. Que s'est-il réellement passé ? La réponse est pour l'instant impossible à avoir, et seule une commission d'enquête pourra élucider ce mystère qui a fait jusqu'à présent 4 morts et provoqué la disparition de 13 marins, dont le sort reste incertain. Comment un port aussi important que celui d'Alger ne peut être suffisamment équipé pour faire face à ce genre de tempête ? Il est à rappeler qu'il y a trois ans, lors des inondations de Bab El Oued, cette même enceinte a vécu le même drame. A l'époque, les responsables se sont engagés à doter l'Epal de moyens qui puissent permettre la maîtrise de telles situations de catastrophe. Ce qui est certain pour l'instant, c'est cette volonté affichée par quelques familles du personnel marin porté disparu de réclamer la vérité sur cette tragédie. Pour cela, elles comptent se constituer en collectif de victimes pour « déposer plainte et juger les responsables qui ont failli à leur mission ». Pour elles, « le règne de l'impunité est fini. Que chacun assume ses responsabilités. Nos enfants étaient censés être en sécurité sur leur bateau au port d'Alger », a déclaré la sœur d'une des victimes tout espérant, a-t-elle insisté, que « les députés exigeront de leur côté une commission d'enquête comme ils l'ont fait pour le crash de l'avion d'Air Algérie à Tamanrasset, il y a deux ans ». Liste des disparus Ould Bey Habib (matelot) Zeggar Saïd (officier-mécanicien) décédé Bahbouh Kheïr-Eddine (officier-mécanicien) décédé Bibi Hcen (commandant) Zitouni Abderrahmane (nettoyeur) Fertas Brahim (matelot) Khelifa Med (postal) Salhi Abdallah (matelot) Hocine Hocine (cuisinier) décédé Messara Ahmed (boulanger) Amiour Ahmed (second-capitaine) Sobihi Miloud (graisseur) Bounab Sobhi (graisseur) Salmi Mohamed (maître-hôtel) Hadoufi Youcef (nettoyeur) Yousfi Smaïl (maître-graisseur)