L'hommage consacré au cheikh Hadj El Mehdi à l'occasion du trentième anniversaire de sa tragique disparition aura drainé les grandes foules que la salle bleue de la maison de la culture aura beaucoup de peines à contenir. Venus du Maroc, du Bénin, du Sénégal, de France, de Suisse, de Hollande, d'Espagne ou d'Allemagne, les amis et fidèles se joindront aux nombreux adeptes d'Algérie pour une communion d'une rare intensité émotionnelle. Dans un documentaire retraçant l'historique de ce visionnaire, le journaliste -dont les articles de l' époque avaient sonné le tocsin à l'une des plus sombre conspiration orchestrée par les différentes sphères du pouvoir des années 1970-, n'aura aucune peine à dire tout le bien qu'il pense aujourd'hui de l'homme qu'il décriait hier. La mort du cheikh, qui interviendra après plus de 10 années de turbulences et un séjour dans les geôles algéroises de la sûreté nationale, n'en continue pas moins de susciter moult interrogations, que de nombreux intervenants n'hésiteront pas à exprimer de vive voix devant un public où l'on notait la présence de Bouabdallah Ghoulamallah, ministre des Affaires religieuses qu'accompagnait le wali de Mostaganem. D'emblée, Zine El Abidine, le fils du cheikh, dans une très courte intervention, s'offusquera que son défunt père, malgré un itinéraire patriotique sans faille et un soutien incontesté au combat libérateur de son peuple, n'ait toujours pas reçu la consécration qui lui revient. Lui succédant, un universitaire de Annaba n'hésitera pas à comparer le cheikh à Ibn Arabi. De son côté, le docteur Baïtiche, de l'université de Constantine se demandera jusqu'à quand durera l'amnésie. Il s'offusquera que l'on continue à priver notre peuple des enseignements de ce savant, dont l'exégèse dépasse parfois celle des autres grands savants musulmans. Selon un autre témoignage, les ennuis de la confrérie alaouite auraient commencé lorsque Ben Bella fera promulguer un décret portant nationalisation des zaouias. Un décret qui provoquera la réaction véhémente du cheikh El Mehdi qui fera immédiatement part de son opposition par l'entremise d'un proche du président de la République, Hadj Benalla, en l'occurrence. Une entrevue avec ce dernier aurait poussé Ben Bella à annuler ce texte de loi. Mais c'est l'arrestation, en 1968, de Hadj Habib Belkaïd, un ami du cheikh, qui fera monter la tension d'un cran. Rancœurs Pour Chikhi Bouzid, ce sont les dissensions à l'intérieur du pouvoir et les rancoeurs locales qui auraient entraîné l'arrestation de ce proche ami du cheikh. Il n'hésitera pas à prendre la défense de cet innocent, qui ne sera relaxé que sur intervention de Kasdi Merbah en personne. A croire un orateur, le responsable des services de renseignement aurait chargé l'un de ses plus proches collaborateurs -en l'occurrence Yazid Zerhouni, actuellement ministre de l'Intérieur- de prendre attache avec le chef spirituel de la zaouia. S'en suivra une période de légère accalmie que des dissensions entre services finiront par faire voler en éclats au début de l'année 1970. Après une insoutenable campagne de dénigrement savamment relayée par la presse publique, la zaouia sera accusée d'intelligence avec l'étranger et son cheikh emprisonné dans les locaux de la DGSN, à Alger ; puis transféré à Jijel où il sera enfermé dans une sinistre geôle. Assigné à résidence, le cheikh se réfugiera dans la récitation du Coran. Des psalmodies interminables qui finiront par convertir son principal geôlier. Devenu disciple de la tariqua, ce dernier vit actuellement non loin de la zaouia. Dans le documentaire projeté à l'ouverture de la rencontre, il fera un témoignage poignant sur la grande sagesse et la surprenante résistance de Hadj El Mehdi. Une résistance qui fera long feu. Car après plusieurs mois d'enfermement, le cheikh sera finalement remis en liberté. Selon plusieurs témoignages, ce sont Abdelaziz Bouteflika et le regretté Ahmed Medeghri qui auraient persuadé Boumediène de l'innocence du cheikh. Dont le retour auprès des siens n'aura plus la grâce d'antan. Profondément marqué par le harcèlement, la privation et l'injustice, le cheikh se réfugiera dans la ferme de Kheireddine, qu'il ne quittera, à l'äge de 47 ans, que dans un linceul. Les dernières photos le montrent très affaibli, le corps rongé par un mal indicible. A la question de savoir si sa présence à cette manifestation pouvait être assimilée à une reconnaissance officielle des préjudices subis par le cheikh, le ministre des Affaires religieuses dira que cet épisode qui fait partie de notre histoire commune est un problème propre aux grands hommes à l'image de Ben Bella et de Abane Ramdane.