Car durant les années 1920, suite à la mort de son maître, Mustapha Nador, le jeune Hallo allait imprimer au chant populaire un virage salutaire qui le propulsera rapidement au-devant de la scène. Rompant radicalement avec l'andalou, auquel il fera d'innombrables emprunts, ce genre sera rapidement adopté par les couches sociales les plus démunies des quartiers populaires. Résistant vaillamment à l'adversité des écoles andalouses traditionnelles d'Alger, de Constantine et de Tlemcen, le chaâbi sera rapidement adulé dans La Casbah, mais également à Mostaganem, où il fera sensation dans les cafés de Tigditt. Durant plus de 50 ans, Hadj M'hamed El Anka ne cessera de peaufiner son style en se produisant hors des frontières, mais également en le faisant partager, durant de longues années, à une population avide de culture patriotique. C'est grâce à lui que le genre fera son entrée à Radio Alger, qui le répercutera aux quatre coins du pays. Mais El Anka fera également école en assurant personnellement, durant de longues années, une formation destinée à asseoir une relève. C'est pourquoi, à l'occasion de la commémoration de sa mort, ils viendront de toutes les régions d'Algérie pour participer à l'hommage. Réunis en deux soirées consécutives, musiciens et chanteurs de Blida, de Annaba, de Skikda, d'Alger, de Tizi Ouzou ou de Relizane se joindront aux valeureux artistes mostaganémois pour se réapproprier le chaâbi. En effet, c'est en présence de Khalida Toumi, la ministre de la Culture, qui fera expressément le déplacement, que le grand orchestre placé sous la direction de Ali Metidji entamera une touchia raml maya. Dans l'orchestre réuni pour la circonstance, on notait la présence de Mustapha Kasdali et cheikh En Namous, sans doute les plus anciens compagnons du maître, qui, malgré, plus de 85 ans d'âge, continuent d'émerveiller et de captiver. A leurs côtés, les organisateurs n'hésiteront pas à solliciter M'barek Dakhla de Annaba et Abdelmadjid Beslouf de Skikda. Etaient également de la partie des musiciens de Tipaza, d'Alger, de Relizane, de Koléa ainsi que ceux, plus nombreux, de Mostaganem. Devant la pléthore de chanteurs ayant tenu à être de la partie, il aura fallu beaucoup d'ingéniosité pour ne froisser personne. C'est pourquoi les artistes accepteront de se produire par groupe de deux ou trois afin de permettre à tous les présents de se produire. Hormis Chaou, Laâgueb, Rahma Boualem et Meskoud, que l'on classe déjà parmi la vieille garde, il y aura l'intrusion heureuse d'une génération qui n'a pas connu El Anka. Dans le groupe, c'est incontestablement le jeune prodige relizanais, Mustapha Belahcène, qui fera sensation. Tout juste âgé de 24 ans, il n'était pas né à la disparition du maître. Il traînait également un autre handicap, celui d'être né et de vivre dans une ville à laquelle il n'est reconnu aucune tradition dans le domaine du chaâbi, hormis sa proximité d'avec Mostaganem. Dès les premières notes soutirées avec frayeur à un mandole récalcitrant, il fera planer dans la salle bleue de la Maison de la culture un silence religieux. Intervenant après Laâgueb, dont la réputation ne souffre aucune contestation, le jeune Relizanais envoûtera le fort connaisseur public, où on notait la présence des maîtres andalous Benkrizi et Benguergoura, ainsi que le très jovial Khaznadji. Entonnant avec application Kad joumiya fi mouadibi, un sublime insiraf que Hadj M'hamed avait délicieusement adapté de l'andalou pour l'inclure définitivement dans son répertoire. Incontestablement, 27 ans après sa mort, Hadj M'hamed El Anka continue de subjuguer une jeunesse que l'on disait inculte. C'est là le plus bel hommage que l'on pouvait lui rendre. Car s'il y avait une seule préoccupation chez le maître, c'était certainement celle de la relève.