L'unité a été vendue, sur décision de la justice, à 180 millions de dinars alors que sa valeur réelle s'élèverait à plus de 270 millions de dinars, selon certaines expertises. Une bien sombre affaire que cette vente précipitée de la conserverie Ben Azzouz de Boumaïza qui défraye la chronique dans le nord-est du pays, terroir de la tomate industrielle. La conserverie produisait, avec ses 18 unités de transformation, 90 000 tonnes de concentré, soit 150% des besoins nationaux. Le gérant de cette importante unité régionale rapporte que, le 23 septembre denier, le tribunal de Azzaba (Skikda) a procédé à la vente directe, dès la première séance, de cette grande conserverie au prix de 180 millions de dinars. «Elle en vaut au bas mot aujourd'hui 270», nous dit le gérant furieux qui produit une expertise de 2003 où la valeur de l'unité a été estimée à 800 millions de dinars. Une usine qui s'étend sur 4 ha, avec le tiers, 12 000 m⊃2;, couvert. Une capacité de production de 7000 tonnes/an, soit 600 tonnes/24h. Elle employait 85 personnes en permanence et faisait vivre 1200 petits producteurs de tomate en absorbant la production de toute la région de Ben Azouz. Cette vente soudaine tranche anormalement avec la lenteur des procédures judiciaires où le gérant était opposé à la BNA Annaba depuis plusieurs années. Une vente qui rappelle celle semblable de la coopérative Saâda d'El Tarf, et qui a pour origine la dislocation de la filière de la tomate industrielle. En fait, depuis que le choix a été fait au début des années 2000 de livrer pieds et poings liés ce secteur névralgique de l'agriculture au tsunami de l'importation en masse du concentré de tomates. Avec les derniers développements dans ce secteur, entre autres le bradage des unités de transformation et d'emballage, et le désengagement de l'Etat laissent la place à une coterie qui s'approprie à tour de bras et pour une bouchée de pain les terres abandonnées par les agriculteurs, et les conserveries fermées, en difficulté ou en liquidation. Il y a dans le Nord-Est algérien et principalement à El Tarf 18 conserveries, dont 13 sont fermées pour différentes raisons financières, notamment des dettes qui sont fortement contestées. En février dernier, les propriétaires, même ceux à l'arrêt, sont tous invités par les services agricoles des wilayas concernées à présenter un plan de développement avec un échéancier de payement pour bénéficier d'aides et relancer cette filière stratégique. Cette initiative, du ressort du ministre de l'Agriculture, avait suscité beaucoup d'espoir et a redonné confiance aux agriculteurs qui avaient abandonné la culture de la tomate en privant le secteur de leur inestimable savoir-faire. Les dossiers ont été transmis au ministère des Finances pour inviter les banques à jouer le jeu, mais rien, ou trop peu de mesures ont suivi. La conserverie Ben Azzouz, qui n'a pas pu bénéficier de crédits de campagne depuis 8 ans, n'a pu payer les agriculteurs, ses fournisseurs en tomate fraîche. Comme les autres conserveries, elle a eu à faire face à la mévente de ses produits concurrencés par ceux de l'importation. La BNA, sa banque, a réagi à l'époque sous la pression d'une campagne médiatique et l'usine a été mise sous scellés, alors qu'elle était en pleine production. Le coulis de tomate est jeté aux égouts, nous rapporte encore le gérant qui a estimé cette perte à 30 millions de dinars en double concentré de tomates (DCT). En 2004, il y a une procédure de vente aux enchères qui est engagée. Elle ne trouve pas preneur au prix fixé mais des équipements de l'usine sont vendus sans autre forme de procès. L'affaire emprunte alors un dédale de procédures judiciaires assez déroutantes. En 2007, la saisie est prononcée, mais la procédure de vente est rejetée par le tribunal. On patiente un peu et on change l'huissier et l'expert désignés pour fixer la mise à prix à 290 millions de dinars. Enfin, et sans crier gare, le 23 septembre dernier, l'usine est vendue à 180 millions de dinars par le tribunal de Azzaba en une séance unique et avec un seul acheteur dans la salle. «Ce n'est pas un inconnu dans le milieu», nous dit le gérant, car il est lui aussi conserveur, propriétaire de plusieurs unités de transformation. Réalisée en 1985 sur fonds propres et une aide partielle de l'Etat, l'usine, entrée en production en 1988, a coûté clés en main 220 millions de dinars. «Pour ce qui nous concerne, ajoute le gérant, Benamara Mohamed, dès 2003 nous avons engagé des démarches avec la BNA pour un échéancier de remboursement de notre dette arbitrairement fixée à 390 millions de dinars qui est en grande partie le fruit des pertes de change, et de l'accumulation des agios. Pourquoi refuse-t-on d'accéder à notre demande, alors que nous avons des garanties de 2.7 milliards de dinars ?» interroge le gérant. Lors de l'audience, empruntant le pas au gérant, le représentant de la BNA s'est opposé à la vente considérée comme illégale. Contacté par nos soins, le directeur régional de la BNA à Annaba a confirmé avoir fait opposition à cette vente, car son montant a été jugé très insuffisant, mais il dit s'être heurté à l'intransigeance de la présidente du tribunal de Azzaba qui a déclaré qu'elle n'a fait qu'appliquer la loi. Toujours selon le DRE de la BNA Annaba, l'avocat de la banque a fait part de cette opposition de manière formelle. Cette affaire rappelle celle de la conserverie Saâda d'El Tarf que nous avons citée plus haut. Affaire qui a éclaté en 2005, toujours pendante devant la Cour suprême où sont impliqués des cadres de la BNA de Annaba condamnés à des peines de prison. Elle a été vendue à 220 millions de dinars, alors que sa mise à prix était de 440 millions de dinars. Mais le premier scandale a éclaté le jour où a été rendue publique une proposition de 330 millions de dinars qui avait été écartée. Dans cette affaire, le repreneur aurait bénéficié de prêts pour racheter l'usine.