C'est «la pire des élections dans l'histoire du pays», a commenté le docteur Mohamed El Baradai depuis le Brésil. Le Caire (Egypte) De notre envoyé spécial Toute la classe politique égyptienne – à l'exception du Parti national démocratique (PND, au pouvoir) – a dénoncé «une fraude généralisée et une violence d'une extrême gravité orchestrées par le parti au pouvoir en utilisant les gangs de baltaguia (voyous) armés pour terroriser les électeurs». Des scènes de violence ont eu lieu dans tous les districts du pays. Affrontements entre partisans des candidats rivaux, bourrage flagrant des urnes, confrontations armées ont provoqué la mort d'au moins trois personnes et des centaines de blessés. Le pays a connu un «dimanche noir», comme l'explique parfaitement la une du quotidien El Dostour, proche de Hizb El Wafd : «Funérailles de la démocratie dans un jour sanglant», a titré cette publication, qui a rapporté de graves dépassements dans l'opération électorale à travers les plus importantes circonscriptions du pays.Le président de l'Organisation égyptienne des droits de l'homme, Hafez Abou Saâda, parle d'«un grand bond en arrière, nous sommes revenus à la période d'avant 2000». Le Caire s'est réveillé sous le choc d'une élection à l'égyptienne. Les autorités avancent une participation «acceptable de 25%», alors que l'opposition parle de moins de 10%. Pour les boycotteurs, quant à eux, le taux de participation n'a pas dépassé les 5%. A l'heure au nous mettons sous presse, les résultats définitifs ne sont pas encore tombés. Mais l'on parle d'un raz-de-marée du PND de Hosni Moubarak. Les résultats partiels l'accréditent de 100 sièges et d'un ballottage favorable dans beaucoup de circonscriptions. Du côté des Frères musulmans, c'est une déroute historique. Après la percée électorale de 2005 où ils avaient remporté 88 sièges, Gamaât El Ikhwan n'a obtenu aucun siège. Ses candidats doivent attendre le second tour du 5 décembre pour espérer quelques élus. Ils ne dépasseront pas les cinq sièges, selon les observateurs. Ses responsables exigent l'annulation des résultats des élections. Certains analystes cairotes évoquent «des tractations passées entre le PND et Hizb El Wafd pour empêcher les Frères musulmans de figurer dans le prochain Parlement. Le Wafd sera sans doute récompensé pour services rendus». Il faut rappeler que deux mois avant les élections, le patron du Wafd, Sayed Badawi (un richissime homme d'affaires), a lancé une OPA sur le quotidien d'opposition El Dostour. Quelques jours après l'achat de la majorité des actions de ce journal, le rédacteur en chef, Ibrahim Aïssa, a été démis de ses fonctions. La publication, connue pour sa liberté de ton et ses critiques à l'égard du régime Moubarak, se trouve «domestiquée». Pour beaucoup d'observateurs et de journalistes d'El Dostour, le patron de Hizb El Wafd «a rendu un énorme service au régime». Cependant, les Frères musulmans sont victimes de leur choix participationniste. «Eux qui étaient au départ pour le boycott, ont fait le mauvais choix de prendre part à une mascarade électorale», estiment des commentateurs de la scène politique cairote. Le coup est parti. Trop tard. «Ils paieront chèrement leur participation à une élection dont les résultats sont connus d'avance», a déclaré un dirigeant des Frères musulmans du courant d'opposition au sein de la formation. Hizb El Wafd, considéré comme «une opposition officielle», quant à lui, a crié au scandale, parlant «d'une honte pour le pays qui s'est passé d'une occasion pour rectifier le tir et corriger les erreurs du passé». Pour le plus vieux parti égyptien de tendance libérale, «le pays est passé à côté d'une fête électorale», s'est indigné un des responsables. Le Wafd, qui a obtenu au premier tour cinq sièges, pourrait en obtenir dix autres au second tour. La déception est grande aussi chez Hizb Tagamoû (le rassemblement), parti de gauche marxisante. Il a remporté un seul siège, alors que cinq de ses candidats sont en ballottage. C'est l'amertume au siège du parti, où flotte le slogan «La liberté pour le peuple, le pain pour les pauvres et le travail pour les chômeurs».Son porte-parole, Ahmed Sayed Hassan, a estimé que «l'inégalité des chances a fait la différence dans cette élection. Le PND et les Frères musulmans ont dépensé des sommes d'argent dépassant le seuil fixé par la Commission électorale, qui est de 200 000 pounds. Il y a aussi eu l'utilisation de la violence par le PND et les Frères musulmans. Ils ont mobilisé des gangs de baltaguia pour provoquer des violences aux alentours des centres de vote, notamment en province». «L'élection s'est déroulée loin des regards des observateurs, des magistrats et des organisations de la société civile. Les médias gouvernementaux ont pris cause et fait pour le parti au pouvoir», a expliqué le responsable de Tagamoû. Non loin de là se trouve le siège de Hizb El Ghad de Aymen Nour, qui domine la place de Talât Harb. Il est crédité d'un seul siège. Lui aussi dénonce «une fraude jamais vue depuis longtemps». Même réaction chez El Hizb Enassiri, qui se réclame de l'héritage de Nasser. Il n'a obtenu aucun siège et en espère un au second tour… Seul le PND se réjouit de cette élection. Il a minimisé les dépassements, trouvant «normal que quelques problèmes accompagnent l'opération électorale».