A l'exception de la Russie qui continue à plaider sa cause, Laurent Gbagbo aura réussi le dur pari de faire le consensus contre lui. Acculé jusque dans ses derniers retranchements, il ne paraît avoir d'autre choix que celui de quitter pacifiquement le pouvoir ou d'engager un énième bras de fer avec l'Occident. Cette fois-ci, l'issue risque, toutefois, d'être incertaine autant pour lui qui semble avoir «grillé» tous ses atouts que pour la Côte d'Ivoire.Les événements de jeudi dernier montrent qu'il suffit d'un rien pour que ce pays — qui fut pendant longtemps un exemple de développement en Afrique — sombre à nouveau dans la guerre civile. Que ce soit, en effet, en Europe ou Afrique, le président ivoirien sortant ne compte plus aucun soutien. Pis encore, ses plus proches alliés n'osent même plus s'afficher avec lui. Même le département d'Etat américain, qui s'est souvent servi de lui pour avoir un pied-à-terre en Afrique de l'Ouest durant les années 1990, a fini par le lâcher et s'aligner sur les positions de l'Union européenne (UE). Washington a fait en sorte à ce qu'il reçoive clairement le message. Un haut responsable américain, cité par plusieurs agences de presse, a encore affirmé jeudi que Laurent Gbagbo disposait d'«un temps limité» pour céder le pouvoir à Alassane Ouattara. «Nous pensons fortement qu'il écoute avec attention ce que les Etats-Unis, la France, la Cédéao et l'Union africaine lui font comprendre», a poursuivi le haut responsable. Interrogé sur la portée de cet avertissement, il a rappelé la menace américaine de sanctions contre M. Gbagbo et sa famille. Le fonctionnaire américain a ajouté que Washington et ses partenaires s'attendent à une décision de M. Gbagbo «dans les jours qui viennent». C'est la seconde fois en l'espace d'une semaine que les Etats-Unis font comprendre au leader ivoirien qu'il pourrait faire l'objet de sanctions s'il continue à faire «le mauvais choix» de s'accrocher à sa fonction. Laurent Gbagbo, qui semble en réalité beaucoup plus payer son choix de travailler avec les compagnies asiatiques que le fait de s'accrocher au pouvoir, a également subi, hier, les foudres du président français Nicolas Sarkozy. De nombreux journalistes d'Afrique de l'Ouest soutiennent mordicus que le président ivoirien a pour ainsi dire signé «son arrêt de mort» lorsqu'il a notamment commencé à dérouler le tapis rouge aux compagnies pétrolières russes et chinoises alors que jusque-là, la région était la chasse gardée des Français. C'était la goutte qui avait fait déborder le vase. M. Gbagbo, avancent-ils encore, s'est fait piéger en acceptant trop vite de remettre son mandat en jeu car il s'est avéré, a posteriori, que l'Occident a tout fait pour que Alassane Ouattara gagne les élections alors qu'initialement, «on lui avait assuré qu'il allait rester au pouvoir». La raison ? M. Ouattara se serait engagé fermement à renverser l'équilibre des forces en Côte d'Ivoire au profit de Paris et de Washington. Le procureur de la CPI se met de la partie Afin de continuer à mettre la pression autant sur M. Gbagbo que sur l'armée ivoirienne qui lui est restée loyale, le président français a appelé, hier, depuis Bruxelles, «le président proclamé ivoirien à partir avant la fin de la semaine» auquel cas il figurera sur la liste des personnes visées par des sanctions de l'Union européenne. «Laurent Gbagbo et son épouse ont leur destin entre leurs mains. Si avant la fin de la semaine, Laurent Gbagbo n'a pas quitté le poste qu'il occupe en violation de la volonté du peuple ivoirien, ils seront nommément sur la liste des sanctions», a assuré M. Sarkozy à l'issue d'un sommet européen. L'Union européenne prépare, selon des sources diplomatiques à Bruxelles, une liste de 18 ou 19 noms, essentiellement des proches de Laurent Gbagbo, qui seront l'objet de sanctions comme un gel d'avoirs et des restrictions de visas. La liste devrait être décidée lundi prochain par les représentants permanents des 27 gouvernements européens. «Ce qui se passe en Côte d'Ivoire est parfaitement inadmissible (...), des élections ont eu lieu, sous le contrôle des Nations unies, elles ont été validées par les Nations unies. Mieux, la totalité des Etats africains ont reconnu l'élection d'Alassane Ouattara», a poursuivi le chef de l'Etat français. Les menaces contre le «camp Gbagbo» ne s'arrêtent pas là. De son côté, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Luis Moreno-Ocampo, a prévenu qu'il regardait de très près la situation et que ceux qui avaient fait tirer auraient à en rendre compte. Celui-ci faisait référence, bien évidemment, aux violences survenues jeudi, à Abidjan, pour le contrôle de la télévision d'Etat et qui ont fait entre neuf et une trentaine de morts selon les bilans et au moins 80 blessés. Malgré aussi que l'UE a haussé le ton contre Laurent Gbagbo, celui-ci n'avait néanmoins pas l'air, hier, d'être inquiet. Il semblait même s'être installé dans une logique de «résistance». Pour le moment, M. Gbagbo est conforté dans sa position par le fait que les forces de l'ordre lui sont restées fidèles malgré l'appel de l'UE adressé à «tous les dirigeants ivoiriens, tant civils que militaires, à se placer sous l'autorité du président démocratiquement élu, Alassane Ouattara». Celles-ci ont, d'ailleurs, appliqué à la lettre, hier, l'ordre de quadriller la capitale économique du pays. Néanmoins, la confiance entre Gbagbo et son armée pourrait commencer à se lézarder si la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest met à exécution sa menace de lui bloquer les vivres. Si les fonctionnaires restent, en effet, trop longtemps sans percevoir leurs salaires, il n'est pas certains que le leader ivoirien gardera la même emprise sur les événements. Dans ce genre de situation, tout le monde sait que l'argent est le nerf de la guerre !