L'Accord d'association avec l'Union européenne ne profite pas à l'Algérie puisque la partie algérienne a commencé par l'exonération de droits de douanes des produits à 15% au lieu de ceux à 5%, a indiqué Ali Bey Nasri, consultant en commerce international, qui évalue les pertes fiscales à au moins 3,5 milliards de dollars en 2017 avec l'élargissement de l'UE. -Quelle est votre appréciation sur l'Accord d'association avec l'Union européenne (UE) et le régime tarifaire appliqué jusqu'à son gel en septembre dernier ? L'Accord d'association a été une obligation pour l'Algérie de s'insérer dans un espace économique à l'instar de ses voisins. Vu la conjoncture de l'époque où l'accord a été fait, il a causé des dommages pour l'Algérie. L'accord a accordé beaucoup d'avantages à la partie européenne d'une part. D'autre part, l'Algérie n'était préparée. Il a servi uniquement à exonérer les importations des produits européens. Par rapport aux accords de 1976 qui permettaient aux produits algériens d'entrer en exonération des droits de douanes en Europe. Maintenant, nous sommes face à un espace fortement protégé par des normes et des règlementations qui empêchent même certains produits algériens de pénétrer ce marché comme les produits carnés, les dérivés du lait et le miel. Pour ceux qui pénètrent les normes sont draconiennes et nous n'avons pas vu d'assistance en la matière. Si on fait le bilan en cinq années, il n'y a eu aucune assistance technique permettant de faciliter l'appropriation de ces normes par la partie algérienne. -Pensez-vous que l'accord a été mal négocié ? D'un point de vue commercial, l'accord a été mal préparé. L'Algérie a fait un démantèlement très important sur des produits à 15% de droits de douanes. A titre d'exemple, sur ce qu'on appelle le ticket d'accès à l'UE, on a démantelé 80% des produits, 200 sous positions tarifaires, à 15% de droits de douanes alors qu'il existe quatre taux 0, 5, 15 et 30. On a commencé par démanteler les produits à 15%, alors qu'on aurait dû commencer par les produits à 5%, considérés comme de la matière première. Le fait de démanteler ces produits à 15% a nui aux entreprises algériennes. Il s'agit de produits industriels comme pour ceux utilisés dans l'industrie métallurgique qui n'aurait pas dû profiter de ce démantèlement. Cette faveur coûte de l'argent à l'Algérie. -On parle d'un manque à gagner de 2 milliards de dollars par an… Il y a deux ans, j'ai cité ce chiffre de 2 milliards de dollars au moins de pertes fiscales par an. En 2006, la première année d'exercice, on avait perdu 600 millions de dollars. Actuellement, les pertes fiscales sont estimées à 1,5 milliard de dollars en conséquence du démantèlement. Cela va aller crescendo jusqu'en 2017. Si on fait une extrapolation, les importations de l'UE sont environ de 20 milliards de dollars et un droit consolidé de 18 à 20%, les pertes fiscales atteindront 3,5 à 4 milliards de dollars en 2017. Il y a aussi les conséquences indirectes, au départ, l'accord a été signé avec 15 pays, qui étaient 6 au départ, quand on a commencé les négociations et actuellement, ils sont 27 et 6 autres pays sont candidats potentiels adhérents à l'UE qui entreront dans l'accord d'ici deux à trois ans maximum. L'Algérie sera face à 33 pays. Il faut savoir que les pays qui rejoignent cet espace européen sont des pays dont le revenu est relativement bas par rapport aux 15 qui étaient dans l'espace au moment des négociations initiales. A ce rythme, nous allons hypothéquer la naissance de certaines industries. Je cite le cas de la Roumanie, où est produite la voiture Renault, qui a bénéficié fortement de l'Accord d'association, alors qu'elle n'était pas prévue au départ. L'intégration de ce pays, au 1er janvier 2007, a fait que de cette date à 2010, elle a doublé ses exportations vers l'Algérie. Il en est de même pour la Bulgarie. Cette géométrie variable de l'espace UE va causer de plus en plus du tort. -Depuis septembre dernier, le gouvernement algérien a gelé ce régime tarifaire qu'elle renégocie. Est-ce que l'Algérie en tirera profit ? Cette pause décidée par le gouvernement algérien est une très bonne initiative et profiter ainsi de la clause de rendez-vous qui était prévue dans l'accord pour le rééquilibrer, car il est actuellement d'une manière unilatérale très fortement préjudiciable à l'Algérie. L'Accord d'association comprend 110 articles, très peu ont été mis en œuvre. Celui qui a été surtout mis en œuvre est l'accord commercial. A ce niveau-là, il faut revoir globalement l'Accord d'association. -Peut-on connaître quelles sont les industries qui ont souffert de cet accord ? Aucune étude n'a été faite pour connaître le préjudice et son ampleur. On ne peut pa dire que les entreprises ont souffert de cet accord, mais l'économie nationale qui en pâtit, surtout en matière fiscale. Mais le danger sera de plus en plus important en fonction du démantèlement et de l'intégration de nouveaux pays dans l'espace UE. Ces derniers ont des industries à faire valoir avec des revenus assez bas et là ils vont frapper de plein fouet les industries algériennes. L'élargissement de l'UE en incluant ces pays à revenus intermédiaires, avec des coûts bas et sans droit de douanes. Concernant la Renault algérienne, si on continue ainsi jusqu'en 2015, la Renault mère va rentrer sans droits de douanes en Algérie. Donc, on va peut-être profiter de mesures de sauvegarde pendant 4 ou 5 ans, mais rien n'est sûr pour l'avenir. -Pensez-vous que les dernières négociations vont changer quelque chose ? L'Europe est dans l'obligation d'écouter la partie algérienne. Il y va de son intérêt. Elle n'a pas à appauvrir plus l'industrie algérienne. Stratégiquement, elle n'a pas intérêt à affaiblir l'Algérie sur le plan économique, car celui-ci est de la consolider. Elle devra aider le pays à créer des emplois et à transférer de la technologie. Tant qu'on ne comprend pas cela du côté européen, on se trompera de voie. Il ne faut pas regarder l'Algérie comme étant un marché. Les Algériens devront se préparer en interne pour affronter le marché européen. L'UE devra avoir une vision commune de l'espace méditerranéen et non partielle. Au jour d'aujourd'hui, il n'y a pas eu de transfert de technologie, car il n'y a pas la volonté de le faire. En tant que consultant en exportation, je constate des difficultés pour l'accès des produits algériens au marché européen. Aucune aide n'a été accordée aux entreprises algériennes. Les autorités de ces pays empêchent les produits algériens d'accéder à leur marché, car il y a absence de plan de surveillance des résidus en Algérie. Cela ne tient pas la route ! En cinq ans, on n'a pas mis les conditions d'accessibilité de ces produits. Aucune volonté ne s'est manifestée du côté européen pour dire qu'il existe des niches d'exportation et essayer d'accorder à l'Algérie des facilitations, mais surtout l'accessibilité au respect des normes européennes. -Que peut-on faire du côté algérien pour que cet accord soit profitable à l'économie nationale ? L'Algérie a toujours négocié les accords et conventions commerciales dans le sens de l'import et beaucoup moins dans le sens de l'export. Il y a eu plusieurs études et projets sur l'exportation, il est temps de les mettre en place. Il faudra réfléchir sur le positionnement économique de l'Algérie. Je ne comprends pas pourquoi le Maroc exporte pour 3 milliards de dollars de produits agricoles alors que notre pays n'exporte que 50 millions de dollars. Nous avons de grandes capacités, il suffit de faire des études par filière et prendre exemple sur les autres pays qui l'ont fait. L'exportation est à la fois simple et complexe. Elle se planifie et le pays a beaucoup d'insuffisances pour la faire. S'il n'y a pas une volonté de l'Etat qui est producteur de cette stratégie pour identifier l'offre et l'accompagner, rien n'est possible. -La labellisation des produits algériens peut-elle constituer une ouverture pour l'exportation vers l'UE ? Je pense que la labellisation intervient en fin de course. On a besoin d'une étude sur les projets que nous pourrions exporter. A titre indicatif, il y a cinq ans, le Maroc n'exportait pas de haricot vert. Il était grand exportateur d'agrumes et de tomate grâce à une étude stratégique sur l'exportation de produits à forte valeur ajoutée ainsi les Marocains ont identifié l'haricot vert très porteur sur le marché international et se classe ainsi en première position mondiale. -Quels sont les produits algériens à forte valeur ajoutée exportables vers l'Europe ? La datte est en production suffisante, sa qualité est déjà reconnue mondialement et nous n'arrivons pas à la placer sur le marché international. Pourquoi la freine-t-on à l'exportation ? L'Algérie est le 7e exportateur mondial, alors que la Tunisie est le premier. Il existe plusieurs produits exportables selon les importateurs de Rungis comme l'artichaut de Relizane, la muscadine qui est la carotte de Tébessa. L'exportation des produits agricoles vers l'Europe est une question de planification sur les produits demandés et dans quelles périodes, car il y a une protection européenne sur ces produits. Les pays européens ne permettent pas de faire entrer des produits agricoles en période de récolte. -Quelles sont les capacités exportables en valeur de l'Algérie vers l'UE ? Par comparaison, le Maroc exporte pour 3 milliards de dollars, la Tunisie pour 2,5 milliards de dollars, donc l'Algérie peut exporter au moins pour la moitié de la valeur de la Tunisie. Elle a la capacité d'exporter pour un milliard de dollars en produits agricoles. Il existe d'autres possibilités. Un pays c'est comme une entreprise quand on fait de l'export, on fait un diagnostic. Par exemple le cas des exportations des pâtes, qui ont été suspendues en évoquant les produits subventionnés, alors que la dizaine d'exportateurs algériens importent eux-mêmes le blé. Une mesure qui a été prise sans la concertation avec les intéressés et sans préavis. Ils sont dix dont quatre sont des majeurs en production. Les pâtes pouvaient devenir le premier produit exportable en Algérie qui pourrait permettre d'exporter pour 100 millions de dollars sans problème qui partent ainsi en fumée. Il y a cinq ans, ils atteignaient 100 000 dollars, à la suspension la valeur était de 20 millions de dollars. On n'a détruit ainsi une filière et un réseau qu'on a construit. En sept ans, nous pouvons inverser la tendance, notamment sur les produits bio. A titre indicatif, la consommation allemande en produits agricoles bio dépasse 64 milliards de dollars.