La musique de film, l'autre «actant» sonore J'ai déposé un dossier pour la création d'une école de musique depuis 2006, mais celui-ci doit être perdu entre la Présidence et le ministère de la Culture qui le renvoient de l'un à l'autre», a ironisé Safy Boutella, intervenant lundi à la salle Répertoire d'Oran de la Cinémathèque algérienne lors d'une table ronde organisée pour le compte de la 4e édition du FIFAO et devant traiter de la musique de films. Dans ce domaine précis, son expérience remonte à 1979 avec Les moineaux d'Algérie, un moyen métrage de Tayeb Mefti et, depuis, il a signé les musiques d'un nombre appréciable de films algériens où étrangers. Le dernier en date s'intitule La 5e corde, un film marocain de Salma Bargach. «J'aurais aimé partager cette passion en formant les jeunes talents qui existent, mais qui ont besoin d'être encadrés car on est performants que lorsqu'on est plusieurs», déplore-t-il en pensant que ce n'est pas intéressant d'être le meilleur mais tout seul. Dans son cursus aux Etats-Unis, il a eu à suivre des cours de musique de films qui vont beaucoup l'aider ultérieurement. Il considère ce genre particulier comme «un art appliqué» car, contrairement à la composition ordinaire où on est seul, là c'est le film qui commande. Chez lui, c'est plus douloureux car il y a un cadre à respecter : une histoire, un décor, des acteurs, etc. «Quand on reçoit un film, on sent bien, dit-il, qu'il est nu. Il y a tout dedans, mais il faut le ressortir et l'habiller et c'est la musique qui le fait et comme le passage de l'écrit à l'image, le passage de l'image à la musique n'est pas toujours aisé et parfois c'est la page blanche ou alors il faut s'attendre à des incompréhensions ou des refus successifs de propositions de la part du réalisateur.» Safy Boutella avoue avoir eu peur en composant la musique de le Gone du Chaâba de Christophe Ruggia (tiré du roman éponyme de Azouz Begag). Note de consolation, les musiques de films l'enrichissent car à maintes reprises elles boostent ou relancent son inspiration en les adaptant pour ses spectacles. Une façon de voir qui complète l'intervention de Rabie Zemmouri, compositeur tunisien qui est venu à la composition pour l'image par le biais du ballet (Siham Belkhodja) en 1995 avant de signer pour les plus grands de son pays, comme Nouri Bouzid. Hormis l'histoire du mariage heureux entre le cinéma et la musique dès sa naissance, son approche est légèrement différente en mettant en avant la notion de valeur ajoutée et d'improvisation mais aussi une certaine façon de faire qui va jusqu'au choix des instruments pour mieux cerner la psychologie des personnages. Dans le même contexte, Abdelkader Bendaâmache, musicologue, a voulu rendre hommage à Ahmed Malek, ancien compositeur algérien pour films (il est né en 1931) qui a signé entre autres la musique de Les vacances de l'inspecteur Tahar de Moussa Hadad, Le Charbonnier, film engagé de Bouamari. Le joueur d'harmonica dans sa jeunesse, devenu plus tard, selon le conférencier, un des meilleurs interprètes de la flûte traversière était influencé par le travail de Iguerbouchène dans Pépé le Moko (interprété par Jean Gabin et tourné à La Casbah dans les années 30), Mikis Theodorakis dans Z de Costa Gavras (1968) ou Enio Morricone dans La Bataille d'Alger de Pontecorvo. C'est parce que le réalisateur d'un film, Noua, a trouvé la musique qu'on lui a proposée médiocre qu'on a fait appel à lui et c'est cet épisode qui allait le lancer dans cette aventure avec plus tard des collaborations heureuses avec les cinéastes comme Merzak Allouache et d'autres, comme en 1980 avec le Tunisien Abdelatif Benammar pour son film Aziza sélectionné à la quinzaine des réalisateurs au festival de Cannes. Mais ces talents (il en existe évidemment partout dans le monde arabe, notamment en Egypte, pionnier du cinéma pour cette aire géographique) ne doivent pas masquer une réalité amère sur laquelle s'est penché Redouane Nasri, un jeune compositeur syrien qui a collaboré avec la réalisatrice algérienne Nadia Cheraïbi pour son film Derrière le miroir. Il déplore le fait qu'on fasse appel à la musique uniquement pour remplir un vide. «Les réalisateurs se contentent souvent de phrases mélodiques parce qu'elles sont belles, même si elles n'ont aucune interactivité avec l'action», explique-t-il, en ajoutant que le pire est atteint lorsque la musique est utilisée pour masquer les carences. A propos du recul des comédies musicales (genre populaire) qui traduit le summum de la collaboration entre l'image et la musique, Nasri évoque le vécu douloureux des populations qui n'ont plus le cœur à la comédie mais veulent peut-être des réponses à leur condition.