Mission accomplie pour les organisateurs de la 7e édition du Festival maghrébin du théâtre populaire. Casablanca De notre envoyé spécial Les deux salles qui ont abrité l'événement artistique, Sidi Bernoussi et Sidi Belyout, n'ont pas désempli de monde sur une bonne huitaine de jours, et le public présent aux représentations, données en après-midi et en soirée, a montré un réel intérêt aux débats qui ont tourné autour de l'importance du patrimoine dans le théâtre des pays de l'Afrique du Nord. Abdelmajid Fenniche, le directeur artistique, est ému jusqu'aux larmes lorsqu'il invite les chefs de troupe et invités de marque à monter sur scène pour récupérer leur trophée symbolique. A leur tour, les représentants des délégations libyenne, tunisienne, algérienne, marocaine et espagnole demandent à prendre la parole pour dire combien ils ont été ravis de l'accueil fait à leurs œuvres artistiques et travaux théoriques, essentiellement axés sur les expériences théâtrales spécifiques menées autour des deux rives de la Méditerranée. «La différence nous unit» est le mot d'ordre proposé pour la prochaine édition prévue à Casablanca à la même période, comme chaque année. Salut les artistes ! La dernière pièce à passer devant les spectateurs casablancais est tunisienne. A partir d'un texte dramatique écrit par Ba Kamane, l'auteur meknessi, bien connu des hommes du théâtre maghrébin, Imad Ouaslati, fondateur de la troupe Douroub El Fen de la ville frontalière du Kef, construit une pièce à deux personnages, toute en parabole, où il est question de la place de l'artiste dans la société. Sarhan, le sculpteur déboussolé par tout ce qu'il entend autour de lui, est victime d'une sorte de dédoublement de la personnalité, une violente et frénétique folie à la fois qui lui laisse le champ libre à toutes les interprétations. Personne agitée, il ne sait s'il doit continuer sa mission artistique pour faire émerger le beau ou tout abandonner face à la cruauté des puissants. La bonne argile qu'il malaxe sans cesse avec ses mains le libère et l'emprisonne à la fois. Elle est son paradis et son enfer, sa bonne étoile et ses mauvais esprits. Elle lui suggère ses parties cachées et le pousse à chercher qui il est : ange ou démon ? Héros capable de casser toutes les convenances ou anti-héros inapte à remettre en cause les docilités tétées au berceau. Son épopée individuelle est liée aux autres, mais les autres ne sont pas toujours cernables, identifiables. Sarhan est en fin de compte une série de combinaisons contradictoires, un personnage ambigu souligné avec justesse et conviction par le metteur en scène-interprète, Imad Ouaslati, une personnalité complexe qui se réfugie dans le souvenir pour appuyer son reniement au présent. A travers cette double orientation, marginalité, intégration ou encore normalité défigurée par tant d'épreuves ; Wahida Dridi, l'autre personnage sur scène, n'est là que pour mieux insister sur cette frontière floue, indécise, qui sépare le Sarhan lucide du Sarhan irresponsable de ses actes, schizophrène. Le personnage femme est au départ de l'action poupée figée avant de prendre vie à la fin de cette tragédie à huis clos. Elle est prétexte aux dires inconstants du Je narrateur avant d'être protagoniste contradicteur. Cette manière de faire du réalisateur en fin de spectacle nous aide à situer le drame fermé et nous permet surtout d'apprécier un théâtre intelligent capable de nous raconter une fable sans qu'il y ait fatalement une histoire linéaire. L'esthétique est, elle aussi, véhicule de transmission de sens quand il y a du savoir-faire dans la manière d'éclairer les postures, de traduire scéniquement des attitudes, de configurer des conflits, d'apporter des réponses à nos peurs et nos hésitations, et Imad Ouaslati a pu nous transmettre tous ses soubresauts de la vie. Sarhan peut nous ressembler, il y a un lien de parenté entre nous, c'est indéniable.