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Tunis
Les grévistes gèlent leur action
Publié dans El Watan le 19 - 11 - 2005

Les huit personnalités politiques tunisiennes en grève de la faim illimitée depuis le 18 octobre dernier ont décidé, hier, au 32e jour de leur action, la suspension de la grève après l'intervention personnelle de Mme Shirine Ebadi, présidente de la fédération internationale de Human Rights et détentrice du prix Nobel de la paix.
En effet, une délégation de personnalités de la société civile internationale et tunisienne, composée d'avocats, de représentants des droits de l'homme, d'artistes et d'éditeurs, s'est déplacée jeudi dernier au siège des grévistes, les sollicitant de mettre fin au jeûne qu'ils observent depuis plus d'un mois, car leur santé est plus que nécessaire et utile à la continuation du combat. Parmi la délégation figure Mme Ebadi, Sidiki Kaba, président de la FIDH, Mourad Allal, coordinateur de la plateforme des ONG Euromed, Ahmed Ounais, ambassadeur... Il s'agit essentiellement de personnes qui ont été invitées pour participer au Sommet mondial sur la société de l'information dont les travaux se sont achevés tard dans la soirée d'hier par la mise en place de plusieurs recommandations. L'arrêt du mouvement de grève a été annoncé hier, lors d'une conférence de presse animée par les grévistes et ce, devant un parterre de journalistes venus de différents pays. Ayachi Hammami a déclaré, en prenant la parole, que la grève de la faim initiée par un groupe de personnes de différentes tendances a été une réussite puisque l'objectif visé a été atteint. « Nous avons pu créer une nouvelle dynamique au sein de notre société. Les secteurs sensibles, notamment ceux de l'éducation, de l'enseignement supérieur et de la justice, sont sortis de leur mutisme et ont organisé des manifestations. Des étudiants ont crié dans la rue, en dépit de l'interdit qui frappe la Tunisie, leur ras-le-bol de la situation qui prévaut dans le pays et ont protesté contre le régime tyrannique et répressif », dira l'orateur, qui explique que ce type d'action fait réagir la société dans son ensemble et secoue le pouvoir. Les grévistes ont répondu favorablement à l'appel lancé par Mme Ebadi qui a rendu visite aux grévistes et les a sensibilisés afin qu'ils renoncent au mouvement de grève. « La grève a été largement soutenue de l'extérieur et de l'intérieur. Votre message a été entendu et votre cause est connue de tous. Il reste que maintenant, il faut aller au-delà, il faut réfléchir à d'autres actions pour faire aboutir vos revendications. Il faut vous organiser et nous sommes ici pour vous aider, vous soutenir et faire pression sur le gouvernement », a déclaré Mme Ebadi à l'égard des grévistes. D'autres personnalités de divers horizons ont fait la même proposition.
Des questions qui divisent les partis de l'oppositon
Les grévistes, après des discussions intenses, ont opté pour la suspension de la grève et décidé par la même d'installer un comité qui se chargera de poursuivre le combat et la lutte pour la démocratie. Le comité en question est composé de grévistes et de certains membres du comité de soutien. Il a pour mission d'ouvrir le débat avec les différentes forces du pays sur les questions de l'heure et celle qui divise les différents partis de l'opposition. A la question de savoir si le gouvernement n'est pas exclu de cette démarche, Hama Hammami a expliqué qu'aujourd'hui, le débat s'impose plus que jamais au niveau de l'opposition. Le groupe ne sera fixé sur la procédure à suivre ni sur les étapes à entreprendre qu'après la résolution des questions en suspens. « Nous ne sommes pour l'exclusion d'aucune partie. Au moment opportun, nous sollicitons un débat avec le parti au pouvoir, un parti qui n'a, d'ailleurs, jamais été pour le dialogue. Mais actuellement, nous devons entre nous débattre de certaines questions que nous qualifions de très sensibles et sur lesquelles il n'y a pas de consensus », a soutenu M. Hammami, qui illustre ses dires par des exemples. Il dira, à cet effet, que la démocratie ne peut être conçue de la même manière, si certaines personnes remettent en cause la question d'égalité entre l'homme et la femme, ainsi que d'autres plus élémentaires. « La démocratie comme étant un système politique ou un instrument électoral doit être également débattu. Nous voulons être fixés sur la notion de liberté publique et la liberté de penser. Nous voulons connaître le point de vue des différentes tendances, notamment les islamistes, sur ces questions », a souligné M. Hammami, qui a indiqué clairement que si le groupe ne s'entend pas sur ces questions de base, et qui sont élémentaires pour l'avenir de leur combat, il ne peut construire ensemble un bloc solide. « Si le dialogue entre nous aboutit à un résultat positif, nous mettrons alors en place en projet et une plateforme de travail. Le dialogue entre nous, c'est-à-dire entre les composantes des sphères de l'opposition, s'impose, car cela y va de l'avenir de ce mouvement », dira-t-il. Par ailleurs, les grévistes se disent armés pour la première fois d'un courage qui leur permet d'affronter le pouvoir en place. « Malgré les multiples menaces émanant du président Ben Ali lui-même, nous n'avons pas peur. Le président de la République a promis d'appliquer la loi et de nous sanctionner. En ce qui nous concerne, nous ne craignons plus la répression. Effectivement, nous risquons d'être confrontés à de multiples problèmes après l'arrêt de notre grève, mais nul n'ignore que nous avons, de par le passé, fait face à des souffrances dues à l'emprisonnement, la torture. Donc, aujourd'hui, nous sommes capables de faire face à toute nouvelle forme de répression », a soutenu M. Hammami. Un autre gréviste a tenu à préciser que ce qui se passe en Tunisie en matière de restriction des libertés est une réalité que le groupe n'a pas inventée. Il expliquera que, depuis 10 ans, il n'y a pas eu l'apparition d'un nouveau journal.
Aucune ouverture pour la presse
Depuis des années, le pouvoir entrave l'application du code de la presse, et jusqu'à l'heure actuelle, le Pouvoir a interdit 14 publications et a rejeté 5 demandes pour la création de radios. « Le Pouvoir estime que nous sommes une minorité qui critique la Tunisie, mais notre mouvement a démontré le contraire, et tout le monde sait que la liberté d'expression, qui est la colonne vertébrale de toute une société, est bafouée dans notre pays et les journalistes sont quotidiennement intimidés et harcelés », a indiqué le représentant du syndicat des journalistes. Par ailleurs, notons qu'à la fin de la conférence de presse, un groupe important d'étudiants présents à cette rencontre a encerclé le siège et commencé à scander des slogans hostiles au Pouvoir. Immédiatement après, un dispositif de sécurité des plus spectaculaires a été dépêché sur place afin d'aider les policiers qui ont déjà pris position. Les casques bleus ont barricadé toutes les issues menant vers le quartier. Il a fallu l'intervention des grévistes qui ont tenté d'apaiser la situation en appelant la foule à se disperser dans le calme et ce, afin d'éviter la confrontation et un bain de sang.


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