Ils étaient venus de partout. De Aïn Témouchent, Béjaïa, Médéa, Ouargla, Bouira, Skikda, Aïn Defla, Khemis Miliana… Plus d'une centaine de jeunes (et vieux) chômeurs se sont rassemblés, hier, devant le ministère du Travail. Un travail décent, un salaire digne, une protection sociale, tel est le credo du tout nouveau Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC). Le siège du ministère du Travail, naguère considéré comme une citadelle imprenable pour les millions de chômeurs dont l'existence n'apparaît pas dans les statistiques officielles, l'a été davantage hier lors du rassemblement auquel a appelé le CNDDC. Le dispositif policier mis en place était des plus impressionnants pour contenir les irréductibles membres du Collectif des chômeurs suicidaires des wilayas du Sud, élargi depuis vendredi dernier en comité national sous l'égide du syndicat autonome Snapap. Les quartiers et ruelles adjacentes à la rue Mohamed Belouizdad (ex-rue de Lyon), où se trouve le siège du ministère du Travail, étaient bouclés dès la matinée par les forces antiémeute. Le rassemblement s'est quand même tenu, soutenu par les jeunes d'Algérie pacifique, du Club des démocrates algériens, du Mouvement des jeunes indépendants pour le changement, des groupes sociaux qui essaiment la Toile DZ. Un seul député, Tahar Besbès du RCD en l'occurrence, a fait le déplacement pour soutenir le mouvement des chômeurs. Yacine Zaïd, de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme, licencié en 2007 par une filiale de la multinationale britannique Compass, était l'un des premiers à «foncer» dans le «mur» de policiers déployés autour du ministère. Il s'en sort avec quelques coups de trique et des lunettes cassées. «Ils (les dirigeants) se disent ouverts au dialogue et quand on est venus leur exposer pacifiquement nos doléances, on nous sort la matraque», dit-il. Plusieurs manifestants ont été molestés. Certains ont même été embarqués, puis relâchés quelques heures après. Des slogans pleuvent, décapants, sentant le gaz moutarde : «El krassa machi daymine, khafou rab el alamin (le pouvoir n'est pas éternel, craignez Dieu !», «Messassin dima (suceurs de sang)», «Rendez-nous le sang des martyrs !» , «Djazaïr hora dimocratia (Algérie libre et démocratique)», «Barakat ! barakat min serkat el milliarate (Cessez ! Cessez de détourner l'argent public !)». Dans son intervention, Tahar Belabès, l'ancien porte-voix du collectif des chômeurs suicidaires de Ouargla et actuel coordinateur du CNDDC, a pointé du doigt la «maffia» des bureaux de main-d'œuvre (agences de l'emploi), dénoncé «le système des quotas» dans l'octroi de postes d'emploi qui profitent (d'abord) aux «connaissances», aux «rejetons de la nomenklatura», l'exploitation des travailleurs par les sociétés de catering, de sécurité et de gardiennage, les «négriers de l'emploi» qui «s'en mettent plein les poches et exploitent les travailleurs précaires». Il a lancé un appel à la «mobilisation générale» pour mettre un terme aux «pratiques maffieuses» qui parasitent le marché de l'emploi. «Il y a lieu de s'interroger pourquoi le Sud connaît le plus grand nombre de tentatives de suicide de chômeurs alors que ses ressources souterraines profitent à toute l'Algérie», ajoute celui dont deux de ses frères, chômeurs impénitents, se sont déjà donnés la mort. Le porte-parole du CNDDC, Samir Larabi, ancien journaliste à la Radio nationale, licencié après un mouvement de grève en mars 2010, a mis l'accent sur l'inefficience de tous les dispositifs d'emploi de jeunes (Ansej-CNAC). «Nous ne voulons pas devenir des patrons, nous voulons juste du travail. Un travail digne, un salaire décent. Nous voulons une vraie politique de l'emploi, qu'on mette fin au CCD, qu'on nationalise les entreprises stratégiques ; qu'on remette sur pied les entreprises communales. Nous voulons une allocation chômage à hauteur de 50% du SNMG pour tous les chômeurs.» Reçus en délégation par des directeurs centraux du ministère, les membres du CNDDC n'ont même pas eu droit à des promesses. «Vos doléances sont entendues et seront répercutées en haut lieu, nous a-t-on dit. C'est un peu le : ''Je vous ai compris'' du général de Gaulle», ajoute Larabi.