Lazhari Labter, écrivain et éditeur, a créé un mouvement sur facebook qui s'appelle «Cinquante ans barakat». Barakat est un mouvement participatif, démocratique, ouvert, qui appelle à une transition vers la deuxième République. Nous l'avons rencontré au Maghreb des livres où il est venu signer deux ouvrages, La cuillère et autres petits riens et pour présenter Kalimagier écrit avec Nadia Roman et Marie Mahler. - Comment comprenez-vous que le mouvement populaire démocratique, qui a commencé en Tunisie, ait pu s'étendre aussi rapidement dans toute la région arabe ? Notre pays, et ce n'est pas du tout de la fierté mal placée, a été pionnier, nous avons eu Octobre 1988. Nous avons ensuite traversé la décennie 90 qui a été terrible pour l'Algérie et qui l'a payée très cher. Pendant la révolution du Jasmin en Tunisie, à Alger, des jeunes sont sortis dans la rue pour crier leur ras-le-bol d'un certain nombre de pratiques du système en place dans notre pays depuis l'indépendance, sauf que ce cri n'a pas été entendu. Ce cri est d'abord une exigence de liberté, après dix-neuf ans d'état d'urgence, après des années de pratiques liberticides. Derrière ce cri, il n'y a pas que des demandes matérielles et sociales, il y a un besoin que l'on respecte leur dignité, ils veulent en finir avec la hogra et la harga, ils veulent que l'administration soit au service des citoyens, ils veulent des télévisions, des radios et des journaux libres, pouvoir manifester pacifiquement etc. L'Algérie aurait pu être le modèle de démocratie et de liberté pour le reste des pays arabes, c'est la Tunisie, nous sommes très contents pour nos amis et frères tunisiens, d'autres pays suivent. L'Algérie n'est pas une île isolée dans un océan.
- Comment les intellectuels peuvent-ils accompagner cette dynamique populaire qui exige le changement de système et la démocratie au Maghreb et dans le monde arabe et plus particulièrement en Algérie ? C'est l'ensemble de ceux qui ont une claire conscience des choses, qui ont accès à la culture, à la connaissance, au savoir de soutenir, d'éclairer cette dynamique de changement profond qui s'opère sous nos yeux dans toutes ces sociétés, et en Algérie en particulier. Il est important que tous ces gens-là accompagnent de leurs connaissances, de leur expérience, surtout, les jeunes sans manipuler ou récupérer leur mouvement et ce, au moment où ceux-ci s'organisent à travers les nouveaux outils de communication. J'ai moi-même, en tant qu'éditeur et militant qui a toujours rêvé de cette Algérie républicaine, démocratique, libre, avant les émeutes d'Alger, lancé, dans la perspective de la commémoration des cinquante ans de l'indépendance, un mouvement sur facebook qui s'appelle «Cinquante ans barakat» avec un argumentaire suivi de trente propositions, il est en train d'être soutenu, relayé par de nombreux sympathisants qui ont répondu de manière extrêmement positive.
- C'est un mouvement participatif, ouvert qui appelle à une transition vers la deuxième république de manière pacifique et démocratique. La maturité des jeunes à l'origine de ce mouvement démocratique pacifique n'est-elle pas aussi une leçon à l'adresse des Occidentaux ? Je suis outré par le discours paternaliste et à la limite du néo-colonialisme des commentaires des chaînes de télévision étrangères, essentiellement françaises. Ce discours nous dit que c'est très bien la démocratie, vive les peuples qui se battent pour la liberté, mais dès que les analystes sont sur les plateaux, ils se demandent si avec la chute des régimes autoritaires il n'y aura pas le chaos ou l'instauration d'un régime théocratique. Pour nous, il n'est pas question de choisir entre la peste et le choléra, entre des pouvoirs dictatoriaux et des pouvoirs théocratiques, c'est le rejet des uns et des autres, sans être radicaux dans ce rejet. Si les islamistes sont une donne des pays musulmans et arabes, il faut faire confiance aux peuples et aux forces démocratiques et progressistes de ces pays-là pour gérer cette donne islamiste. Ces pays, particulièrement l'Algérie, ont connu des périodes tellement compliquées qu'ils sont à mon sens quasiment vaccinés contre l'islamisme tel que le conçoivent les Occidentaux. Quand, après 200 000 morts, des milliards de dollars de dégâts et une guerre qui a duré dix ans, qui a traumatisé le peuple algérien jusqu'à aujourd'hui, on n'a plus envie de voir les islamistes revenir au pouvoir. Nous avons l'exemple de ces jeunes qui sont sortis à Bab El Oued et que les islamistes, pensant qu'ils étaient encore en 1989, ont essayé de manipuler et de récupérer à travers un de leurs leaders, Ali Benhadj que les jeunes ne connaissent même pas, puisque n'étant pas encore nés. Nous aimerions que les Occidentaux comprennent cela, qu'ils soient à nos côtés pour nous aider. D'ailleurs, si pendant trente ans en Egypte, pendant de longues années en Algérie, pendant quarante ans en Libye, les pays occidentaux n'avaient pas privilégié froidement leurs intérêts économiques en composant avec ces dictatures, ils auraient abrégé nos souffrances, mais entre le poids des intérêts économiques et le poids des libertés des peuples, ils ont choisi leurs intérêts économiques.