A lui seul, il interprète tout un univers et ses multiples personnages à la fois touchants et hilarants. Capable de tenir en haleine toute une assistance sans que l'attention ne fléchisse, ses performances sur scène sont un pur délice. Dans ce deuxième volet de sa trilogie algérienne, intitulée Baba la France, il rend hommage, à travers l'histoire de son père, à la première génération d'émigrés algériens partis reconstruire la France. Ces hommes, arrachés à leur terre natale et qui se retrouvent confrontés à l'exil et à l'exclusion, tentent de survivre tant bien que mal dans des conditions hostiles. Rachid Akbal parle de son spectacle en ces termes : «Je parle aussi bien des pères qui ont pu vivre entourés d'une famille, que des pères ayant laissé leur famille au pays, vivants seuls dans des logements de fortune ou dans des foyers pour travailleurs. Tous ont accompli leur temps de travail plus qu'il ne faut et, aujourd'hui, ils sont à la retraite.» Leurs parcours exemplaires semés d'embûches sont dignes de s'inscrire dans l'histoire collective pour que nul n'oublie aussi leurs sacrifices et leur contribution au triomphe de la révolution algérienne. Rachid Akbal, avec sa maîtrise habituelle, débarque sur une scène nue et s'empare de la vacuité de l'espace pour tout repeupler en convoquant différents univers et les personnages qui les composent. L'histoire commence dans un village kabyle du côté de Beni Douala, où un jeune garçon donne du fil à retordre à sa petite famille par ses facéties. Surtout lorsqu'il commence à devenir sensible à la sensualité que dégagent les corps de ses cousines. Pour tempérer ses ardeurs, on l'envoie à Alger apprendre un métier et pouvoir après prendre femme. Son initiation à la vie des adultes passe par son engagement comme homme à tout faire dans une base de l'armée américaine, du côté de Maison Carrée (El Harrach actuellement). Des rêves plein la tête, il demande à son employeur s'il serait possible d'appendre à piloter un avion. Mais le hasard va le conduire au Havre, ce grand port français sur l'Atlantique qui avait besoin d'être reconstruit après les bombardements de l'armée allemande. La besogne finie, c'est l'appel de Paris qui se fait plus pressant. Dans l'une de ces banlieues qui entourent la capitale, il se retrouve avec la communauté algérienne pour vaincre les affres de la solitude. Le lieu de socialisation par excellence, c'est le bistrot du coin tenu par Mme Gilbert, une sorte de mère protectrice prodiguant conseils à tous et admonestations aux égarés. Le héros de Rachid Akbal, malgré un parcours exemplaire, sombre rapidement dans l'alcoolisme quand il va s'agir de recueillir la famille de son beau-frère et les problèmes posés par la disparition de ce dernier. Ne sachant pas où donner de la tête devant tant de responsabilités, il se fait même voler sa marchandise au marché du coin. Rachid Akbal a su restituer avec force toutes les préoccupations de cette génération et les problèmes rencontrés. Il n'oublie pas d'évoquer l'engagement de cette génération pour la libération de l'Algérie du joug colonial. Avec ce deuxième volet, Rachid Akbal qui passe au théâtre Pierre Tabard de Montpellier, continue de recomposer le puzzle de la mémoire des immigrés qu'il a déjà commencé avec Ma Mère l'Algérie. Un spectacle joué plus de cinq cent quarante fois et dans différentes langues !