Lutter contre l'état d'urgence. C'était la priorité de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH). Au lendemain de son troisième congrès, tenu les 25 et 26 mars 2010, le président de la LADDH, Mustapha Bouchachi, intervient lors d'une conférence de presse et trace la feuille de route de son organisation. Au sommet de la pyramide figurent d'abord la lutte pour la levée de l'état d'urgence, qui a paralysé, 19 ans durant, la vie politique et associative dans le pays. La question est l'urgence des urgences du moment. «La première priorité sera la poursuite de l'action en faveur de sa levée. Cette action sera concertée avec l'ensemble des acteurs de la société civile et les partis politiques qui militent contre l'état d'urgence. Il s'agit de créer une coalition nationale forte qui travaillera dans ce sens», dit-il. Moins d'une année après avoir fait ce serment, la LADDH réalise déjà l'un de ses premiers objectifs : l'état d'urgence est officiellement levé. «Victoire» ! La LADDH partage «le trophée» avec les partis, les associations, les syndicats et les personnalités qui se sont engagés avec elle dans la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). Ce n'était pas un don du pouvoir, c'était plutôt le fruit de la mobilisation et de l'action engagée par la CNCD. Affolé et ébranlé, le régime de Abdelaziz Bouteflika cède enfin sur l'une des questions, autour desquelles il n'acceptait aucun débat. La décision est annoncée à deux jours de la marche du 12 février 2011 ayant mobilisé plus de 5000 personnes à Alger, malgré l'interdiction. Mais l'acquis n'est pas complet. Le pouvoir prend de la main gauche, ce qu'il donne de la main droite. Il lève l'état d'urgence, mais il maintient l'interdiction sur les manifestations publiques qui le contraindraient, peut-être, à se lever en urgence pour permettre l'installation d'un vrai système démocratique en Algérie. Les forces de l'opposition et la LADDH auront donc du pain sur la planche. Que faire pour rééditer les exploits des peuples tunisien et égyptien? Comment poursuivre la lutte pour le changement ? La clé de la réussite est connue : accorder la confiance à la jeunesse. La ligue l'aura compris. «Le dernier congrès de la ligue a permis l'élection d'un conseil national composé à 50% de jeunes», affirme Abdelmoumen Khelil, secrétaire général de LADDH. Des jeunes au cœur de l'action Encadré par des sages, Me Ali Yahia Abdennour et Me Mustapha Bouchachi, un groupe de jeunes révolutionne l'action de la ligue. Ces jeunes préparent les activités, élaborent des projets et souvent proposent des idées. La LADDH devient une véritable pépinière. Des jeunes militants, dynamiques et engagés émergent et avancent résolument. L'ère de la jeunesse commence en Algérie. Nous sommes partis à la rencontre de ces jeunes. Lundi, 21 février 2011. Il est 15h, quand nous sommes arrivés au siège de l'organisation à Alger-Centre. Un calme olympien règne à l'intérieur. Loin du brouhaha de la capitale, Abdelmoumen Khelil (32 ans), Imad Boubekri (25 ans), Karima Bellache et la jeune Canadienne Marie-Andrée Gauthier (étudiante en communication) s'échinent à préparer les prochaines activités de la LADDH. Les rendez-vous sont nombreux et l'agenda de la ligue exige des efforts colossaux. Ils sont conscients de la difficulté de la tâche, mais ils se disent déterminés à relever le défi. Leur engagement pour la défense des droits de l'homme découle d'une conviction que seule la lutte redonnera espoir à la jeunesse algérienne. «J'ai fait mes études en sciences politiques et j'ai adhéré à la LADDH en 2003. Mais avant, j'ai suivi avec beaucoup d'attention les actions de la LADDH et je me suis totalement identifié à ses valeurs et aux idées qu'elle véhicule», explique Abdelmoumen Khelil. Selon lui, être militant de la ligue permet de garder la neutralité. «Cela permet d'être ouvert au dialogue avec toutes les sensibilités de la société. La LADDH est un véritable laboratoire de formation des jeunes», ajoute-t-il. Pour Karima Bellache, le militantisme au sein de la ligue est une expérience enrichissante. «Je suis militante depuis 8 ans. La ligue m'a permis d'apprendre et de m'engager encore plus. Lutter pour la défense des droits de l'homme est un travail noble. Les Algériens en ont infiniment besoin, car en Algérie nous ignorons nos droits», estime-t-elle. Et d'enchaîner : «Au niveau de la ligue, on a appris à écouter les autres et à les orienter. Nous avons même appris à agir en psychologues avec des gens en détresse.» Karima appelle les femmes à adhérer à la ligue pour, dit-elle, mieux prendre en charge leurs problèmes.
«J'ai choisi le chemin de la dignité humaine» Juriste de formation, Imad Boubekri affirme que la défense des droits fondamentaux est un devoir pour chaque Algérien. «J'ai adhéré à la LADDH en 2007. C'est à l'université que j'ai pris conscience de l'importance de militer pour les droits fondamentaux. Aujourd'hui, j'ai compris aussi qu'en choisissant le chemin des droits de l'homme, j'ai choisi le chemin de la dignité humaine», déclare-t-il. Né à Souk Letnine, dans la wilaya de Béjaïa, le jeune homme a vécu toute son enfance à Jijel, une région durement touchée par le terrorisme. «Je n'ai connu que des violences : des assassinats, des disparitions forcées et des déplacements forcés. Tout cela a aussi pesé sur mon choix d'adhérer à la ligue. Mais ce ne sont pas les seuls facteurs. Le combat exemplaire de Me Ali Yahia Abdennour et Me Bouchachi m'a beaucoup influencé», explique notre interlocuteur. Infatigables, les jeunes de la LADDH se montrent prêts à consentir des sacrifices supplémentaires pour sensibiliser les Algériens sur les violations de leurs droits les plus élémentaires. Comme lors des marches du 12 et 19 février dernier, les militants de la LADDH sont toujours en tête des manifestations et rassemblements organisés par les différentes organisations ou mouvements sociaux. Au rassemblement des chômeurs ou des familles des disparus, aux protestations des syndicats…, les jeunes de la LADDH répondent toujours présents. «La mission principale de la ligue est de défendre les droits, tous les droits. Les droits de l'homme sont indivisibles», précisent-il, en se référant à la Constitution internationale des droits de l'homme, qui est la déclaration universelle du 10 décembre 1948. «La LADDH gagne en crédibilité»
Cette omniprésence sur le terrain des droits de l'homme s'avère payante pour la LADDH. L'ONG compte actuellement 1500 adhérents. Déjà une performance pour une organisation, dont les militants victimes d'intimidations et de répression. Mais ce chiffre peut être multiplié dans les mois à venir. «La société est favorable à l'action de la ligue. Depuis le 12 février, la LADDH reçoit une quarantaine de demandes d'adhésion par semaine, principalement des jeunes. C'est impressionnant ! Nous allons mettre en place des mécanismes supplémentaires pour développer la notion de bénévolat. Nous voulons étendre la présence de la LADDH à tout le territoire national», assure-t-il. Pour réaliser ces objectifs organiques, la LADDH exploite les nouvelles technologies et Internet. Ainsi, sa page facebook (2634 membres) devient un véritable forum de discussion sur la situation des droits de l'homme dans le pays. Animé également par cette équipe, le site internet de la LADDH devient un véritable journal électronique. On y trouve toute l'information concernant les violations des droits de l'homme. C'est aussi un support qui permet à la LADDH de dénoncer ces violations. C'est déjà une forme de sensibilisation. Pour les jeunes militants de la LADDH, le changement interviendra en commençant d'abord par le respect des droits de l'homme et des libertés. «Il faut libérer la liberté, et la liberté fera le reste», affirme toujours Me Ali Yahia Abdennour, paraphrasant Victor Hugo.