Mouammar El Gueddafi n'a jamais voulu construire un Etat moderne. Il le dit lui-même : «Chez nous, le pouvoir est au peuple. Nous n'avons pas de président qui démissionne, pas de Parlement à dissoudre, pas d'élection qu'on falsifie, pas de Constitution qu'on peut amender. Nous n'avons pas de réclamations de justice sociale parce qu'ici, c'est le peuple qui décide.» Comment le peuple peut-il décider s'il n'y a pas d'institutions élues démocratiquement ? Les Grecs avaient leur Parlement, les Romains, les Phéniciens et les Arabes avaient des institutions similaires. Comment diriger un pays sans institutions élues, tout en prétendant que «c'est le peuple qui décide» ? En réalité, le seul qui a toujours décidé en Libye depuis 1969, c'est le colonel Mouammar El Gueddafi. Dictateur sans foi ni loi, il utilise aujourd'hui les chasseurs-bombardiers, les chars, les lance-missiles et autres armements lourds pour écraser les révolutionnaires qui demandent son départ. Dès sa prise de pouvoir, en 1969, El Gueddafi choisit «le tribalisme» comme appui à son règne sans partage. Intelligemment, il a «hypnotisé» les chefs tribaux par la rente pétrolière coulant à flots dans un pays à petite population. «Le guide» est le seul «intellectuel», «l'unique idéologue». Il se fait entourer d'écrivaillons et de versificateurs qui ne font que reproduire ses «idées» venues d'un autre monde. Ceux qui s'opposaient à lui étaient emprisonnés ou même enterrés vivants (la Libye compte des milliers de disparus depuis 1969). Samir Ghoumati(1), jeune poète kidnappé par «les comités révolutionnaires» en 1982, était de ces victimes dont les Libyens n'osaient même pas prononcer le nom. On raconte que les mamans libyennes éplorées faisaient peur à «leurs enfants protestataires» en disant : «Attention, vous allez connaître le sort du n°14 !» Samir Ghoumati portait ce numéro lugubre dans un séminaire que le dictateur a organisé pour embobiner la jeunesse. C'était le 2 septembre 1982, à l'occasion du treizième anniversaire de la prise du pouvoir par El Gueddafi. Ce jour-là, le n°14 «a trop parlé». Kidnappé dans la nuit de ce 2 septembre par «les milices gueddafiennes», il a été d'après ses amis «enterré vivant» dans le désert. En réalité, ce «séminaire» du 2 septembre 1982 n'était qu'un piège pour Samir Ghoumati et «les jeunes Libyens qui ont commencé à bouger». «Le ‘‘guide'' monte en grade de plus en plus/ Il est si orgueilleux qu'il méprise le peuple/ Personne n'ose le critiquer/ Les bavards sont condamnés à mort dans le désert». Ces vers écrits par Samir Ghoumati, juste quelques mois avant sa disparition, reflètent les réalités du pouvoir en Libye et attaquent avec violence la mainmise du «guide» sur le peuple et le pays. Mouammar El Gueddafi, qui se livre à la débauche, a toujours accordé une confiance aveugle aux dignitaires félons des tribus. Maîtrisant une rente pétrolière importante, il a corrompu les plus récalcitrants des chefs tribaux. Habib Benghazaoui(2), disparu en 1984 (sans nouvelles à ce jour), a laissé ces vers lourds de sens : «D'en haut, je regarde la plaine de Tripoli/ Partout fourmillent les hordes du «guide»/ Les herbes folles sont rouges de sang/ Et les hyènes et chacals se coiffent en hauts dignitaires». Samir Ghoumati et Habib Benghazaoui ne sont que deux faisceaux de cette lumière qui attaquait la politique ténébreuse d'El Gueddafi. Combien de citoyens, poètes et autres militants libyens ont été tués par ce tyran sanguinaire ? L'histoire nous le dira plus tard !