L'insalubrité gagne du terrain au camp de réfugiés, alors que les communautés africaine et Bengalie ont été séparées .Ces derniers jours ont été marqués par l'arrivée massive de Ghanéens, de Maliens et de Nigérians… Ras Jdir (frontière tuniso-libyenne) De notre envoyée spéciale Un flux massif d'Africains a caractérisé la journée de dimanche dernier, avec 3020 entrées, parmi lesquels 1149 Maliens, 1472 Ghanéens, 323 Nigérians, 321 Bengalis, 79 Somaliens, 5 Equatoriens, 1 Palestinien, 2 Burkinabés, 98 Soudanais et 14 Ivoiriens. En fait, ce sont leurs ambassades respectives à Tripoli qui ont organisé leur départ avec l'aide des autorités libyennes. Sept bus ont été loués et sont arrivés en même temps. Pour ce qui est des départs, seuls 2000 Bengalis ont quitté la Tunisie. L'espoir de rapatrier les 9932 qui restent est aujourd'hui permis. Le ministre des Affaires étrangères du Bengladesh a promis de les rapatrier à partir d'hier. Dans le camp de Choucha, de nouvelles tentes sont encore dressées, souvent dans l'anarchie, alors que l'insalubrité envahit les espaces. Les odeurs asphyxiantes se dégagent des sanitaires installés un peu partout. Devenus de plus en plus nombreux, les Africains sont séparés des Bengalis, alors que les Soudanais continuent de refuser de faire la chaîne pour manger ou boire, «par respect à notre dignité», disent-ils. Beaucoup ont refusé de se mettre dans le camp, et ont préféré installer leurs tentes loin des regards, mais en dehors du dispositif de sécurité. Les militaires en ont arraché quelques-unes, mais elles ont vite été dressées un peu plus loin. Ils veulent tous partir chez eux et le plus vite possible. «Nous ne pouvons pas permettre à l'anarchie de s'installer. Ils doivent intégrer le périmètre de sécurité. Il va de leur bien-être, sinon ils ne recevront rien», déclare le colonel Fethi Bayoudh, chargé de la gestion du camp. Il peine à organiser les lieux où ont passé la nuit, du dimanche à lundi, 16 776 réfugiés, parmi lesquels 9932 Bengalis, 2634 Ghanéens, 2045 Maliens, 680 Soudanais, 592 Somaliens, 115 Erythréens et 40 Nigérians. La chaleur torride complique davantage la situation sanitaire, et il n'est pas exclu que des foyers d'épidémie apparaissent. Des foyers d'épidémie ne sont pas à exclure ? Pour l'instant, les moyens mis en place par les équipes médicales de Médecins sans frontières, Médecins du monde, la Protection civile tunisienne et les équipes médicales de l'Armée marocaine sont en alerte. Des problèmes de sécurité sont également signalés. Des agressions sans gravité, pour l'instant, ont eu lieu et l'incident le plus grave est cet incendie qui a détruit une tente militaire, blessant grièvement deux soldats. Personne ne croit à un accident ou à un court-circuit. La thèse d'un acte criminel est sur la bouche de tout le monde. La tente, disent-ils, «ne peut pas être brûlée avec une bougie, d'autant que cette nuit-là il y a eu une pluie diluvienne». Les militaires ont renforcé leur présence dans le camp, mais le périmètre est tellement grand qu'il est quasiment impossible de le contrôler, surtout que l'éclairage n'existe que devant le QG de l'armée, et les tentes des ONG onusiennes. D'ailleurs, les rixes éclatent dans la majorité des cas lors des interminables files d'attente pour les repas qui durent au moins trois heures. Un pénible exercice qui épuise les réfugiés, les stresse et les rend très vulnérables. «Je suis fatigué de faire la chaîne pour manger, pour boire, pour me laver et pour téléphoner. Jamais je n'aurais pensé me retrouver dans une telle situation», déclare un Malien. «Cela fait trois jours qu'il est dans le camp et ne demande qu'à partir». Il est revenu de Tripoli après avoir perdu toutes ses économies, ses papiers et son travail. La même situation est vécue par cet Ivoirien, arrivé jeudi dernier, sauf que lui précise n'avoir pas voulu partir de Libye. «Depuis quelque temps, il y a trop d'agressions dans les rues. Je me suis caché pendant une semaine avant que les militaires ne m'emmènent en prison. J'y suis resté durant deux jours, puis ils m'ont mis dans un bus avec plein d'autres étrangers africains, pour être transférés à la frontière. Il y avait sept bus ce soir-là, qui ont transporté les Africains vers la Tunisie. Mais moi, je n'ai plus de papiers et je ne veux pas retourner en Côte d'Ivoire à cause de la guerre…», dit-il, les larmes aux yeux, ajoutant : «Je ne veux que du travail, loin de la guerre et de la violence…». Un Nigérian confirme le témoignage et précise que dans chaque bus, il y avait au moins une cinquantaine de personnes. «Il y a encore des centaines qui vont arriver. Ils sont bloqués et n'attendent que l'occasion pour quitter la ville. Les gens sont traumatisés par les tirs d'artillerie et les échanges de coups de feu. A Tripoli, c'est vrai que la situation diffère, mais la population vit un cauchemar. Elle a très peur mais ne peut rien faire», raconte le Nigérian, avant d'être interrompu par un Libyen qui vient de franchir la frontière. «La situation est très grave. J'ai dû passer au moins une trentaine de barrages. Les militaires ont des listes de personnes qu'ils cherchent dans les bus, les taxis et les camions. La population libyenne de Tripoli est terrorisée. Elle ne sait plus quoi faire. Elle ne peut même pas partir, parce que les militaires l'en empêchent. Si je n'avais pas l'excuse de mes contrôles médicaux, jamais ils ne m'auraient laissé sortir…», nous dit-il, avant de prier pour le départ d'El Gueddafi. Pourtant, plus de 3000 Libyens rentrent quotidiennement en Tunisie. «Ce sont des trabendistes. Ils habitent non loin de la frontière. Ils viennent décharger le carburant à Benguerdane et ils retournent chez eux. Le nombre qui rentre est le même que celui qui sort...», explique un officier de la police des frontières. En cette journée, tous craignent un retour massif de réfugiés les prochains jours, du fait des bombardements de plus en plus proches du poste de Ras Jdir.