Tant attendu par les contestataires du régime, le discours du président syrien Bachar Al Assad, prononcé hier au Parlement, n'a rien apporté de concret quant à la volonté de Damas d'entamer des réformes. Réformes qui consistent à asseoir la démocratie et garantir ainsi la liberté d'expression, le droit de créer des partis politiques, la levée de l'état d'urgence en vigueur depuis 1963 et le respect des droits de l'homme. Pour le président, la Syrie fait face à une «conspiration». Al Assad constate que le pays est confronté à «un moment exceptionnel qui apparaît comme un test de notre unité». Et les ennemis du pays ont profité de cette situation pour semer le chaos. «Cette conspiration est différente sur la forme et sur le moment choisi de ce qui se passe ailleurs dans le monde arabe», a-t-il estimé. «La Syrie n'est pas isolée de la région.» Néanmoins, «nous ne sommes pas une copie des autres pays», a-t-il relevé lors de son intervention publique, la première depuis le début de la contestation le 15 mars. «Nous sommes totalement favorables à des réformes. C'est le devoir de l'Etat. Mais nous ne sommes pas favorables à des dissensions», a-t-il poursuivi. Il a estimé que la lutte contre la corruption et le chômage constitue une «priorité» du prochain gouvernement. «Je sais que les Syriens attendent ce discours depuis la semaine dernière, mais je voulais attendre d'avoir une image complète de la situation.» Et cela, «afin d'éviter de tenir des propos émotionnels qui auraient peut-être apaisé les gens, mais n'auraient pas eu d'effet concret au moment où nos ennemis visent la Syrie». Ainsi, de ce discours il ne ressort que la volonté du président à sauvegarder son pouvoir. Il parle de réformes. Mais quelles sont ces réformes ? Est-ce l'abrogation de l'état d'urgence ? Consistent-elles en de nouvelles lois sur les médias et le pluralisme politique tant attendues ? En fait, le discours de Bachar Al Assad suscite plus de questions qu'il n'apporte de réponses en conséquence. Dans sa vision, comme tous les dictateurs du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord, il saupoudre son discours de prétextes fallacieux quant aux raisons qui ont provoqué la contestation populaire. Al Assad évoque en la circonstance la conspiration étrangère pour donner ensuite au mouvement de protestation une dimension sociale en déclarant que la priorité de son gouvernement est le chômage et la corruption. Deux fléaux qui ne datent pas d'aujourd'hui. Pourquoi attendre Alors tant d'années pour reconnaître l'existence de ces chancres qui rongent la société. En fait, Al Assad feint d'oublier comment il s'est retrouvé, plutôt, comment il a hérité du pouvoir. Et comment son père, dont il est successeur, s'est imposé président à vie. Pouvoir par un coup d'Etat le 13 novembre 1970. Du putschiste à l'héritier Le 13 novembre 1970 Hafez Al Assad devient président par un coup d'Etat et impose la domination de la minorité alaouite (chiite) et de l'armée sur le pays. Le 7 mars 1972 est créé le Front national progressiste regroupant le parti Baas, le Parti communiste (PC) et trois groupes nassériens. Mais ce sont les éléments baathistes qui y dominent. En 1977 disparaît l'opposition du Parlement. Mais le régime reste menacé par la contestation dont le paroxysme se traduit par l'insurrection de la ville de Hama réprimée dans le sang en février 1982. Depuis cette date, l'opposition n'arrive pas à reprendre le souffle. Tentative de sortie de l'isolement Allié de l'Iran et de l'Arabie Saoudite, hostile à Baghdad, Damas a pris part à la coalition anti-irakienne durant la guerre du Golfe de 1990-1991. En contrepartie, la Syrie garde son influence sur le Liban. Par une telle politique étrangère, la Syrie veut s'imposer comme acteur inéluctable dans les conflits que connaît la région. Sur le plan interne, la guerre de succession redouble de férocité depuis 1983 après la crise cardiaque qui frappe Al Assad. Le président met à l'écart son frère Rifaât, qui nourrit l'ambition de lui succéder et propulse sur le devant de la scène son fils aîné, Bassel, mais ce dernier meurt le 21 janvier 1994. Il lance alors son fils cadet, Bachar, qu'il nomme en 1995 commandant de la Garde présidentielle et auquel il confie plusieurs missions au Liban.Hafez Al Assad meurt en 2000. Pour que son fils Bachar lui succède, le Parlement syrien amende la Constitution pour revoir à la baisse l'âge minimum du candidat à la présidentielle qui passe ainsi de 40 à 34 ans. Deux jours plus tard, Bachar Al Assad est promu général en chef des forces armées. Il est élu président de la République par référendum le 10 juillet 2000. Il demande la reprise des négociations avec Israël pour récupérer le Golan. Entre temps, Washington et Tel-Aviv l'accusent de soutenir le Hezbollah et le Hamas. Il s'oppose à l'invasion de l'Irak par les forces américaines en 2003. En 2001, sous la pression de la communauté internationale, les forces syriennes quittent en partie importante le Liban. L'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, en février 2005, suscite l'hostilité des populations libanaises à l'égard de Damas. Les Occidentaux, de leur côté, soupçonnent les services secrets syriens d'être derrière l'élimination physique de Hariri. Fin avril 2005 est bouclé le retrait définitif des troupes syriennes du Liban. La Syrie tente alors de sortir de l'isolement diplomatique où elle se retrouve. Outre ses relations avec l'Iran, Damas réussit, en 2008, à revenir sur la scène internationale en devenant partenaire de l'Union pour la Méditerranée (UPM), un projet cher à Nicolas Sarkozy. Aujourd'hui, Al Assad fils sait que le fait de pactiser avec les occidentaux ne suffit pas pour garantir sa pérennité au pouvoir. Il n'a pas pris en considération les aspirations du peuple syrien. Certes, derrière toute dictature il y a une démocratie. Mais quand le magma de la colère bouillonne à l'intérieur de la cité, il ne faut pas inventer de faux ennemis, à savoir la main étrangère. En Syrie, il se pose la question de la construction d'un Etat-nation étouffé par un Parti nation personnifié par Bachar Al Assad. Le reste relève de la démagogie et du paternalisme envoûtant pour un certain temps. Un président d'une République ne court pas derrière les événements et ne s'accroche pas aux franges de l'histoire. Il écrit l'histoire.