Une seule phrase prononcée par un de ses conseillers à l'occasion du 19 Mars, à Mostaganem, aura suffi à mettre tout le monde en émoi. Le président Bouteflika — qui ne dit rien, choisissant de se taire depuis les émeutes du 5 janvier dernier, et la forte effervescence sur le double plan social et politique que connaît le pays — avait évoqué «une nouvelle page ouverte sur la voie des réformes globales lancées depuis 1999, des réformes qui ne sauront être fructueuses en l'absences de réformes politiques». Cette déclaration a été retournée dans tous les sens par nos analystes, elle n'a donné lieu qu'à des spéculations fantaisistes, voire même fantasmatiques, pour accréditer le chef de l'Etat d'une volonté ferme de réformer l'Etat. Des articles bien inspirés avaient tracé les lignes de cette réforme qui irait, à en croire les mêmes indiscrétions, jusqu'à revenir à l'ancien article 74 d'avant la révision de la Constitution, en décembre 2009. La disposition limitait le nombre de mandats présidentiels à deux, avant d'être supprimée au profit d'une présidentielle à vie. Bouteflika va-t-il se déjuger en moins de deux ans après ce que d'aucuns avaient qualifié de «coup d'Etat constitutionnel» ? Pour ceux qui le connaissent, le chef de l'Etat n'acceptera pas un tel désaveu. Et son Premier ministre ne fait que confirmer cette tendance. Ahmed Ouyahia n'invente rien, en réalité. Penser qu'il soit en contradiction avec le chef de l'Etat est une pure vue d'esprit, une illusion. Le Premier ministre apporte même une précision de taille en affirmant, avant-hier, à qui veut l'entendre, que les gens ont mal interprété le discours du président Bouteflika. Le secrétaire général du RND ne fournit pas plus d'explications, mais il laisse entendre que le locataire d'El Mouradia et lui-même ne sont pas en opposition. Il redit à peu près la même chose que ce qu'il avait annoncé autrefois à l'APN, lors de la présentation de la déclaration de politique générale : «Pour votre malheur, le régime est uni.» Comme Bouteflika, Ouyahia ne voit pas l'utilité d'ouvrir le champ de l'audiovisuel. Comme le chef de l'Etat, le Premier ministre ne juge pas opportun d'autoriser la création de nouveaux partis politiques. Voilà ce qu'il a déclaré lors d'une émission-débat de l'ENTV, il y a une dizaine de jours : «L'Algérie a besoin d'un traitement chirurgical. Il faut laisser le temps au temps et chaque chose viendra au moment opportun, car il y a une réalité politique connue de tous en Algérie, qui a besoin de panser ses blessures.» Le Premier ministre, qui s'exprimait en tant que secrétaire général du RND, avait écarté le recours à des réformes politiques, d'abord parce qu'elles sont déjà en cours depuis plusieurs années, ensuite parce qu'il croit aussi que les revendications sont strictement sociales. Et le président Bouteflika ne pense pas autrement. En témoigne d'ailleurs sa lettre du 19 Mars consacrée essentiellement aux mesures sociales et économiques prises au profit des jeunes. Y a-t-il opposition entre les deux hommes ? Sur les principes non ! Lui-même le dit à chaque fois : Ahmed Ouyahia ne sera pas celui qui s'inscrira en faux par rapport au chef de l'Etat. La «rébellion» du MSP, plus précisément de son président, Bouguerra Soltani, ne peut être interprétée qu'à la lumière des prochaines échéances électorales. Ayant l'habitude de mettre deux fers au feu, le parti islamiste aspire à une nouvelle vie et veut se délecter d'un compagnonnage qui pourrait être chèrement payé politiquement. Le MSP n'a pas le courage d'assumer l'échec des différentes politiques du gouvernement qu'il a soutenu. La lecture qui fait penser qu'il existe des ombres derrière Soltani est fausse. Son agitation est purement électoraliste. Le chef du RND, Ahmed Ouyahia, lui, fait même savoir qu'il n'est pas indispensable. Ce qui veut dire que les réformes que revendique le MSP – limitation des mandats présidentiels, instauration d'un régime parlementaire – ne sont pas dans l'agenda de l'Alliance autour de Bouteflika.