Une peine de 10 années de prison a été requise jeudi à l'encontre des deux anciens PDG de l'EPAL et de huit autres prévenus, dont trois opérateurs privés l Le verdict sera connu le 27 avril. C'est jeudi vers minuit que l'audience du procès des ex-dirigeants de l'Entreprise portuaire d'Alger (EPAL) a été levée, après le défilé d'une vingtaine d'avocats qui ont plaidé l'innocence des dix prévenus appelés à la barre, dont six – les deux anciens PDG Ali Farah, Abdelhak Bourouaï et Abdelmadjid Zerzahi (DGA chargé de l'administration), ainsi que les opérateurs privés Abbas Boukhari (responsable de Transimex), Redouane Titache (dirigeant de Mitidja), Mohamed Miloudi (patron de l'Eurl Maloc) –comparaissent en tant que détenus.Les quatre autres prévenus en liberté – Ahmed Tami Setta Ali (DGA chargé des containers), Nadhm Eddine Hassni (DGA chargé de la coordination des activités opérationnelles) et Saïd Dhifellah (directeur de la capitainerie du port d'Alger) – avaient bénéficié d'un non-lieu dans un premier temps, avant que le parquet ne fasse un pourvoi et que la chambre d'accusation ne décide du maintien des poursuites engagées initialement. Devant le tribunal, les dix prévenus sont appelés à expliquer comment des engins de plusieurs entreprises privées opéraient au port d'Alger sans y être autorisés. Les deux anciens PDG, Farah et Bourouaï, révèlent que le recours aux opérateurs privés est une pratique utilisée depuis la fin du monopole de l'Etat sur les activités portuaires, vers la fin des années 1990. Chaque opérateur avait le droit de faire de la manutention sur la base d'un dossier comportant une autorisation (d'activité) délivrée par le ministère du Commerce et d'un cahier des charges signé ; ce dossier permettait d'obtenir une décision d'acquisition de place de parking dans l'enceinte du port pour chaque engin. Une méthode mise en œuvre à l'époque de Ali Farah et reprise par Abdelhak Bourouaï, qui a permis à une trentaine d'opérateurs d'avoir une part du marché. «Le port ne leur donnait en fait que l'accès au parking pour une durée d'une année renouvelable pour la somme de 100 000 DA par trimestre pour chaque engin. En contrepartie, ils devaient donner 80% des revenus de chaque opération à l'EPAL. Il n'y a jamais eu de réflexion sur les tarifs. C'est injuste comme tarification, mais ces entreprises avaient la possibilité de travailler avec les importateurs auxquels ils appliquaient des prix très élevés. De cette manière, l'EPAL a pu investir dans l'achat d'engins de différents tonnages et le renforcement de ses capacités dans la perspective de ne plus compter sur le privé, qui totalisait une soixantaine d'engins au port d'Alger», révèlent les deux responsables. Mais en 2009, un des opérateurs, absent du tribunal, dénonce que certaines entreprises exercent sans documents et d'autres, comme la sienne, fait l'objet d'une hausse importante des droits et taxes. Le directeur de la sécurité interne de l'EPAL, Achouri Boudjemaâ (entendu en tant que témoin) est saisi par la Direction de l'exploitation du réseau (DRE) dirigée par Saâdi. Attif (actuellement PDG par intérim de l'EPAL, entendu comme témoin) entame un recensement des engins durant le week-end. Son rapport fait état d'au moins onze engins utilisés sans autorisation depuis des années, parmi lesquels certains ont été mis en activité dès leur importation sans papier. Les entreprises incriminées sont au nombre de quatre : Transimex, Maloc, Metidja et Saâdi. Le constat est dressé en présence d'un huissier de justice et adressé à la DRE. Une situation qui pousse le PDG Bourouaï à consulter un avocat qui lui conseille de récupérer les dus de l'entreprise auprès des contrevenants. Dans le cas où ils refusent, l'affaire sera portée devant la justice. Des factures sont alors établies, douze en tout, et les opérateurs acceptent de les payer. Le directeur des finances, Mahfoud Bonatiro (témoin), les qualifie «d'anormales» et les laisse pendantes dans un compte d'ordre. «Je ne pouvais accepter des montants sans explication, d'autant qu'ils concernent la période qui remonte jusqu'à 2005. Je les ai laissés dans un compte qui n'apparaît pas dans l'exercice», dit-il au juge. En fait, si la représentante du ministère public estime que les faits «sont graves» sans apporter la preuve d'une quelconque relation entre les prévenus pour étayer le délit d'«association de malfaiteurs» ou de «trafic d'influence», de «dilapidation des deniers publics», de «faux et usage de faux» et de «passation de contrat contraire à la réglementation des marchés publics», la défense plaide l'innocence, arguant du fait que l'affaire relève du droit maritime et non du code pénal. Le réquisitoire et la peine de 10 ans de prison ferme demandée pour l'ensemble des prévenus sont jugés «excessifs» par rapport aux griefs. «Le parquet ne s'est pas cassé la tête pour comprendre le dossier. Nous ne comprenons pas pourquoi lorsque l'enquête préliminaire est menée par le Département du renseignement (DRS) les magistrats ne font qu'avaliser l'enquête. Dans le dossier, même la conclusion de cette enquête n'est pas disponible. Nous sommes devant un tribunal correctionnel, il faut des preuves que nous ne trouvons pas. L'affaire est vide et les cadres qui ont donné plus d'une trentaine d'années à l'administration auraient pu être récompensés en fin de carrière au lieu de se retrouver en prison. Leur présence ici est une flagrante injustice. Ali Farah était en retraite depuis déjà quatre ans avant que l'affaire n'éclate ; il y a prescription», déclare Mokrane Aït Larbi, avocat de Ali Farah. «L'article 945 du code maritime défini les infractions liées aux activités portuaires. Les opérateurs mis en demeure ont accepté de payer et l'EPAL a récupéré son argent. Elle n'a subi aucun préjudice», explique Me Bencherif, avocat de la partie civile. Il explique que si le tribunal estime que le travail des privés au port d'Alger est illégal, «il faudrait juger les 30 opérateurs qui exercent à ce jour au port d'Alger et dans tous les autres ports du pays. Mais ce n'est pas le cas. Ali Farah et Zerzahi (le DGA) n'ont rien à faire en prison parce qu'ils n'étaient pas en poste lorsque les engins non autorisés exerçaient. Il y en a eu quatre qui ont été tentés par le gain engendré par cette activité, 400 000 DA/jour par container. Le code maritime prévoit les sanctions et la récupération du dû. Ce que Bourouaï, en tant que PDG a fait. Pour ce qui est du préjudice, nous demandons une expertise, pour l'évaluer». Défendant l'entreprise Malloc, Me Chaïb démantèle toutes les inculpations, affirmant que le fait que son mandant a utilisé sans autorisation un engin nouvellement importé relève plutôt de l'article 953 du code maritime et non du pénal. Les mêmes propos sont tenus par Me Tidjini, avocat de Abbas Boukhari, patron de Transimex, qui souligne qu'il n'y a jamais eu de contrat au sens défini par la réglementation des marchés publics entre l'EPAL et l'opérateur privé : «Les deux sont liés par un cahier des charges. Pour ce qui est des engins importés et laissés au port, la situation tombe sous le coup de l'article 945 du code maritime et non du code pénal.» Une interrogation est cependant laissée par ce procès. Un quatrième opérateur a disparu du dossier sans aucune explication, avant que ce dernier ne soit déféré devant le tribunal. Le verdict sera connu le 27 avril prochain.