La révolution arabe a tenu le haut de l'affiche cette semaine lors des «spring meetings» du FMI et de la Banque mondiale. Mais pourquoi donc le FMI a manqué dans ses prévisions, le soulèvement insurrectionnel des grands nombres qui est parti de Sidi Bouzid le 17 décembre 2010 pour changer l'histoire du monde arabe ? Dominique Strauss Kahn, directeur général du FMI, croit avoir la réponse : «Le FMI ne s'occupait que des équilibres macro-économiques, l'inflation, les déficits budgétaires, la croissance. Nous avons appris avec les révolutions arabes que cela n'était pas assez, car ces catégories ne nous disent rien sur le contenu de la croissance, sur les inégalités dans les revenus, ou encore sur la qualité des emplois créés, d'ailleurs souvent insuffisamment». Une révolution sur la 19e avenue de Washington DC ? Cela en a le ton. Le FMI a fait tout faux dans ses prévisions. Parce qu'il ne regardait pas dans la bonne direction. Celle de la vie des populations. Son directeur général l'admet. La voisine Banque mondiale est supposée l'aider en cela. Elle ne finance pas uniquement des projets d'infrastructures, mais aussi des programmes sociaux, de lutte contre la pauvreté, d'aide à l'éducation et à la formation. Mais elle aussi n'a rien pu prévenir entre les Méridiens de l'Atlantique-Est et du Golfe arabe. Pourquoi la croissance dans le modèle tunisien, encensé jusqu'au bout à Washington autant qu'à Bruxelles, ne donnait-elle pas des emplois de qualité et en nombre suffisant et une distribution plus équitable des revenus ? Les leçons de Dominique Strauss Kahn sur le choc arabe sont encore prisonnières d'un non-dit politique. La réponse, c'est le nouveau gouverneur de la Banque centrale tunisienne, Mustapha Nabli, qui va la donner : «La Tunisie avait un gouvernement non éthique». Il faut bien comprendre où cela conduit. Les pouvoirs politiques autocratiques finissent toujours par provoquer un biais mortel dans l'activité économique : réduire les opportunités d'investissement, monopoliser les revenus de la croissance, laisser la corruption s'ériger en normes de la transaction sociale, briser l'implication des citoyens dans la vie publique, ce qui alimente en retour la dérive autocratique. Des révolutions ont éclaté dans deux pays, la Tunisie et l'Egypte, qui avaient le satisfecit du FMI, car leur inflation était maîtrisée, leurs comptes publics non déséquilibrés et leur croissance respectable. Cela est arrivé, car tous ces indicateurs vertueux n'ont pas apporté «la dignité» aux populations. Le FMI a fermé les yeux sur les kleptocrates autoritaires, au-delà de la Tunisie et de l‘Egypte et ne s‘est pas soucié du sort des populations qui les subissaient. Le mea culpa de Dominique Strauss Kahn sonne un peu creux aujourd'hui. Car il n'est pas près d‘être suivi d‘une réorientation des conditionnalités de soutien. Le FMI prête aux Etats en banqueroute ou sur le point de l‘être. En échange, comme tout créancier, il s‘assure que l‘Etat en question assainisse suffisamment ses finances publiques pour pouvoir rembourser. Le FMI est là toujours dans le vieux consensus de Washington que la crise financière était supposée avoir étranglé. L‘idée est encore la même, d‘ajuster la demande solvable d'un pays à sa vraie capacité de paiement du moment. Les Etats de Grèce, d'Irlande et bientôt du Portugal passent par une réduction drastique de leur train de vie. Cycle de court terme. Temporalité bancaire. Or, dans l'inflexion que souhaitait, depuis deux ans, donner le DG du FMI à son institution, il existe de nouvelles pistes qui peuvent, dans un monde meilleur, être érigées en conditionnalités vertueuses : transparence budgétaire, lutte contre l'évasion fiscale, limitation des écarts de revenus, part du budget consacré à l'éducation nationale. Des conditionnalités qui présupposent la démocratie. Les révolutions arabes ont rendu la question de la gouvernance, et pas seulement des programmes appliqués, centrale dans le développement. «Le processus démocratique en Tunisie va permettre, une fois la stabilité revenue, de faire des taux de croissance plus forts que lors de la décennie précédente», a pronostiqué Mustapha Nabli. A Washington, personne n'ose plus en douter.