Un maire comme le FLN n'est pas près d'en avoir. Sans étiquette et sans cravate. Le téléphone collé à l'oreille et une page facebook pour donner des rendez-vous à ses administrés. Bienvenue à Zéralda, où Mouhib Khatir, le maire le plus contestataire d'Algérie – il a entraîné d'autres élus dans une menace de démission collective contre la révision du code communal – donne un nouveau sens à la mission d'élu. «Depuis 2007, j'ai déposé vingt-quatre plaintes contre la mafia locale. Aucun jugement n'a été rendu. Mais elle a déposé une plainte contre moi, rapidement instruite, à l'issue de laquelle j'ai écopé de deux ans de prison avec sursis ! J'en ai assez de cette justice de chkara !» Sanguin, le maire de Zéralda. Costume gris affinant sa silhouette, chemise blanche à fines rayures, le tout sans cravate, Mouhib Khatir fait beaucoup plus jeune que ses 48 ans. D'une poignée de main ferme, il nous reçoit dans son bureau. C'est lui qui, depuis le début de l'année, mène la fronde des maires contre le projet relatif au nouveau code communal et a menacé, en mars dernier, le gouvernement d'une démission collective. A la tête du Forum des maires d'Algérie, qui, d'après lui, a réussi à fédérer la quasi-totalité des 1541 élus du pays, il reste aujourd'hui dubitatif sur les promesses du président Bouteflika, lors de son dernier discours à la nation, vendredi passé. «Ce qu'il a annoncé n'est pas très clair, relève-t-il, passablement énervé. Ce nouveau code que nous rejetons a été élaboré au profit des vingt-six communes d'Alger. Mais Alger n'est pas l'Algérie !» Et d'ajouter : «Ce nouveau code ne verra jamais le jour. A l'Assemblée, ils vont perdre du temps en palabres jusqu'à Ramadhan, puis ils prépareront les élections à la députation au mois de mars et le projet tombera dans l'oubli…» Ordures sur la chaussée Enfin, Mouhib Khatir n'en est pas à son premier coup de gueule. Les Algériens avaient pu s'en apercevoir dès son élection en 2007. Il cherche alors à récupérer le Centre des affaires de la ville, construit à partir d'un prêt bancaire contracté par l'APC et que la commune continue de rembourser, plus de 24 milliards de centimes, alors que le centre ne lui rapporte rien. «J'ai fait des calculs et j'estime que de 1997 à 2007, la commune a perdu plus de 350 milliards de centimes.» Mais le centre reste à ce jour entre les mains de ses adversaires de la mafia locale, qui l'accusent de vouloir récupérer l'édifice pour le céder à l'un de ses proches. «Un beau jour, la gérante du cabaret est venue me voir dans mon bureau, raconte-t-il sans s'embarrasser de précautions. Elle m'a proposé qu'on enterre la hache de guerre et deux milliards pour que j'accepte de signer un nouveau bail à l'établissement.» La peur des représailles, Mouhib Khatir ne connaît pas. «S'ils croient qu'ils me font peur, ils se trompent. Je n'ai peur de rien, parce que je n'ai pas besoin du poste de maire pour m'enrichir ; j'ai assez d'argent grâce à mes affaires.» Qu'il oublie quand il arrive à son bureau, voire même avant. Car les raisons pour qu'il commence sa journée avec des sujets de mécontentement ne manquent pas. Exemple ce matin. Le maire, obsédé par la propreté (il a installé des bacs pour le recyclage des déchets), fait une tournée d'inspection dans sa commune et constate que des commerçants ont déposé leurs ordures sur la chaussée, en dehors des horaires fixés par la commune. Personnel remplacé «Je dois demander encore une fois aux employés de la voirie de refaire une ronde. Il arrive que les bennes fassent trois rotations, juste parce que certains ne respectent pas les horaires. Je vais acheter des bacs que je vais offrir aux commerçants, c'est plus propre que les cartons et les sachets.» Mais ce qui le met hors de lui, c'est la lettre d'un parent d'élève affirmant que certains enfants n'ont pas eu droit à leur repas à la cantine scolaire, parce qu'il n'y avait pas assez de nourriture. Mouhib Khatir ordonne illico presto de remplacer l'ensemble du personnel de la cantine. «Ils prennent la nourriture destinée aux élèves. Il y en a même qui invitent leurs copains à venir manger et ce sont les élèves qui trinquent», fulmine-t-il d'un coup, perdant son sang-froid. Le maire de Zéralda a compris que pour régler les problèmes, il n'est pas toujours nécessaire d'y consacrer beaucoup de temps. Adepte du service express, Mouhib Khatir écoute un peu et promet beaucoup. Toujours une solution dans la poche, même si la décision devra être revue par la suite. Mais il n'est pas question qu'un administré reparte sans l'impression que son problème a été pris en charge par le maire en personne. Un citoyen a besoin d'une lettre de recommandation pour son dossier de logement ? Pas de problème. Le maire ordonne qu'on lui établisse sur le champ le document. «Populisme» Une vieille dame accompagnée de son petit-fils se plaint des convocations à répétition que la justice lui transmet pour non-paiement d'impôts d'un local propriété de la commune, alors qu'elle affirme être en règle avec les services concernés ! Immédiatement, le maire demande au service juridique de prendre en charge son dossier et propose au petit-fils sans qualification de rejoindre le centre de formation de la commune. Une jeune maman vient réclamer un certificat de résidence qu'elle ne peut se faire établir par les services de l'état civil, alors qu'elle réside dans la commune ? Il règle le problème d'un coup de téléphone et n'oublie pas de lui conseiller de s'inscrire sur les listes électorales. Evidemment, ce genre de gestion au plus près des citoyens n'est pas apprécié par tout le monde. Ses détracteurs lui reprochent son «populisme». Mais face aux critiques, Mouhib Khatir a les arguments tout trouvés. «On pourra dire ce qu'on voudra, mais moi j'ai un bilan, atteste-t-il. Zéralda est l'une des communes les plus riches d'Algérie. A mon arrivée en 2007, le budget de la ville était de 13 milliards, aujourd'hui il est de 75 milliards et mon objectif est d'atteindre 120 milliards. De plus, j'ai créé plus d'une centaine de postes d'emploi sur le budget communal.» Les prochaines élections communales sont pour la fin de 2012, même s'il s'en défend du bout des lèvres, le maire ne cache pas son désir de se représenter à nouveau. De sa fenêtre «Je suis un élu sans étiquette et je ne peux compter que sur mon bilan. Je n'ai pas un parti pour me soutenir. En plus, si je me défonce pour cette ville, c'est parce que je l'aime, promet-il d'un ton assuré. Je suis un enfant de Zéralda et ma famille a une histoire liée à cette ville.» Pour vendre son bilan, son arme, c'est la communication. Un sujet qu'il maîtrise bien. La preuve : lors de notre reportage, deux journalistes de la cellule de communication de l'APC, embauchés dernièrement et bénéficiant du dispositif d'insertion des cadres mis en place par l'Agence nationale de l'emploi, ne me quittent pas et glissent de temps en temps les petites phrases qu'il faut. Leur boulot : vendre l'image d'un maire «à l'écoute de ses administrés», «qui ne compte pas ses heures de travail» et qui «a tellement apporté pour l'amélioration du cadre de vie à Zéralda». Son autre force : sa proximité avec les citoyens. Sur facebook, ces derniers peuvent le contacter sur la page de Zéralda. Véridique. On a essayé. Il répond et y donne parfois des rendez-vous, même en dehors des jours de réception. De la fenêtre de son bureau où trônent des trophées, le portrait de Bouteflika, sa photo en compagnie du président de la FIFA et une autre sur laquelle une citoyenne de Zéralda avait griffonné des remerciements, Mouhib Khatir surveille les annexes de l'état civil. Pour lui, c'est un excellent indicateur sur la qualité de service offert par l'administration de la commune : «Il suffit de voir la tête de quelqu'un qui sort de la mairie pour savoir s'il est content ou non. De ma fenêtre, je peux savoir si les services communaux font bien leur travail…