Dans sa quête de changement, Ali Yahia Abdennour a placé la barre haut. Ce qu'il demande c'est ni plus ni loin que l'éviction de Bouteflika de la présidence de la République incapable, à ses yeux, de gouverner pour raisons de santé. Mais en demandant à l'armée de «faire ce travail», cet acharné défenseur des droits de l'homme jette le trouble car ce qui est préconisé c'est tout simplement un coup d'Etat institutionnel. La démarche cadre mal avec son statut d'acharné défenseur des droits de l'homme et de démocrate. De plus, Ali Yahia Abdennour a constamment reproché à l'armée d'avoir imposé Bouteflika à la tête du pays et il s'est particulièrement illustré dans ses attaques contre l'institution pour le rôle qu'elle a joué dans l'arrêt du processus électoral, en 1992. L'équation posée par Ali Yahia Abdennour est la suivante : c'est l'armée qui l'a ramené, c'est à elle de le faire partir. Mais il fait fi de la Constitution qui, dans son article 88, habilite le Parlement et le Conseil constitutionnel à prononcer l'empêchement du président de la République pour raisons médicales. A ses yeux, ces deux institutions sont tellement discréditées que la mise à l'écart de la loi fondamentale (à laquelle il se réfère pourtant) se justifie. Agissant en homme politique et surtout en militant, Ali Yahia Abdennour ne s'encombre pas de juridisme. Ce qui importe, à ses yeux, c'est d'en finir avec le système politique actuel et Bouteflika est celui qui l'incarne le mieux. Comme le départ de Ben Ali et de Moubarak a sonné le glas des systèmes bâtis par ces deux dictateurs dans leur pays respectif, la destitution de Boutelika du pouvoir libérera l'Algérie de la chape de plomb dans laquelle l'a plongé sa gestion depuis 1999. Pour ne pas être accusé de se focaliser sur la personne du chef de l'Etat, Ali Yahia Abdennour prend néanmoins la précaution de livrer son avis sur la transition démocratique et comment l'organiser (El Watan du 25 avril). Reste qu'il y a encore un fossé entre le désir et la réalité. Si la santé de Bouteflika est vacillante, elle lui permet néanmoins d'assurer un minimum d'activités publiques. S'il a raccourci son séjour à Tlemcen, il y a quelques jours, il a pu néanmoins procéder à toutes les inaugurations prévues pour l'Année de la culture islamique. Même s'il est présent dans tous les esprits et qu'il finira par s'imposer, le débat sur l'empêchement du Président paraît toutefois prématuré aujourd'hui. En revanche s'impose dans l'immédiat un débat sur la présentation régulière d'un bulletin médical du chef de l'Etat. L'absence de cette pratique a ouvert la voie à toutes sortes de rumeurs et de spéculations d'autant que Bouteflika est l'unique source de pouvoir, s'accaparant de l'ensemble des prérogatives politiques du pays au point d'annihiler tous les contre-pouvoirs. En outre, le président de la République a décidé d'être l'arbitre des nouvelles réformes qu'il vient de lancer. Pourra-t-il assurer une disponibilité accrue et une forte capacité de discernement ? Reste l'autre problématique qui est tout aussi importante que celle qui vient d'être soulevée : l'état d'esprit de l'armée, aujourd'hui, sur la revendication du changement. Est-elle solidaire vaille que vaille du président Bouteflika ou considère-t-elle que celui-ci est devenu un obstacle au changement ? Bien malin celui qui répondra à cette question du fait de l'opacité entourant les relations entre le président Bouteflika et les militaires. Il est établi que le président de la République, au début de son mandat, s'est attaqué ouvertement à l'institution, arguant du fait qu'il ne saurait être «un trois quarts de président». Il a dégommé un certain nombre de hauts responsables jugés «encombrants» et il apparaît que depuis une décennie, les relations se soient normalisées, l'armée se préoccupant davantage de la lutte antiterroriste que des querelles de pouvoir. Mais les couacs de la réconciliation nationale et la sérieuse dégradation de la situation économique et sociale du pays n'auraient pas laissé indifférente l'institution. Les indiscrétions ayant filtré dernièrement dans les rapports des diplomates américains livrés par le site WikiLeaks avaient révélé que des généraux, des puissants services notamment, avaient pointé Bouteflika du doigt. Mais sans plus. L'armée observe le silence le plus total sur l'impact en Algérie des révoltes arabes, mais elle demeure préoccupée par les mouvements de rue dans le pays. Le traumatisme de la répression menée en Octobre 1988 est toujours vivace chez elle. De ce fait, elle ne peut rester indifférente aux «traitements politiques» de la crise proposés par le président de la République. En cas d'échec des réformes, un syndrome violent de type libyen serait mortel pour l'Algérie, déjà fragilisée par les traumatismes subis par le passé. Nul doute cependant que l'armée partage la conviction qu'une transition démocratique est nécessaire aujourd'hui pour le pays, mais dans un cadre organisé et pacifique. Son obsession est d'éviter qu'elle soit amenée un jour à être au devant de la scène politique, que ce soit par un coup d'Etat ou en imposant un homme à elle à la tête du pays. Mais sa grande hantise est qu'elle soit amenée à tirer de nouveau sur une foule de manifestants pacifiques.