Rien ne justifie l'état de dégradation avancé dans lequel se trouvent les sites sous les ponts,-rochers et Rhummel-, plus particulièrement le remblai de Sidi Rached, devenu un gigantesque dépotoir. Une grande partie du paysage, surprenant, -rochers et luxuriante végétation en fusion-, qui fait la singularité de Constantine, est exposé, à court terme, à une dégradation sans pareille. Il n'y a qu'à emprunter le pont Sidi Rached, le plus grand pont de pierre au monde, et observer des deux côtés des parapets pour découvrir une vie grouillante, incessante, au milieu de montagnes d'immondices effarantes, déversées au quotidien par les innombrables marchands de bric-à-brac. Aucun ne semble mesurer la gravité de la chose. Nous avons abordé plusieurs de ces revendeurs, dont la plupart sont des habitués des lieux. Quelques-uns viennent occasionnellement écouler de tout : vêtements et chaussures d'occasion, fripe, vieille quincaillerie, et plein d'objets hétéroclites, difficilement identifiables, mais qui, curieusement, trouvent preneur. Rien ne se jette, tout se négocie. C'est un peu notre marché aux Puces à nous. Un marchand, que nous appellerons Brahim, nous dira, avec un sourire gêné, que tout le monde jette ses ordures où bon lui semble. « Je veux bien participer à la propreté de l'endroit, mais c'est quand même le travail de la commune », concède-t-il. Un autre de renchérir : « L'APC doit nous aider en nous fournissant du matériel, et même des agents de nettoiement, on ne peut pas ramasser tout ça sans grands moyens. » Un vieux fripier, un peu méfiant, pointera du doigt des vendeurs occasionnels venus des régions limitrophes : « Ce sont ces gens-là qui laissent toutes ces saletés derrière eux en retournant chez eux le soir ; ils s'en fichent, ce n'est pas leur ville, pourtant elle leur donne à manger. » En somme, c'est une minorité qui donne l'impression d'être incommodée par les immondices. En été, les odeurs sont insupportables, nous diront quelques habitants de Souika. Il ne s'agit pas seulement d'ordures ordinaires, mais de déjections humaines, en l'absence de toilettes publiques, qui d'ailleurs ne sauraient être présentes à cet endroit, relève un habitant. Qui a parlé de tourisme ? Chacun se rejette la faute, mais en attendant, le bosquet d'arbres séculaires, dont la cime atteint la partie supérieure du pont, est sauvagement agressé dans l'indifférence générale. Quelques personnes de passage, attirés par la beauté insolite de la ville, relèveront avec amertume ce laisser-aller qui ne dit pas son nom. « Comment voulez-vous promouvoir le tourisme avec cette saleté ? C'est pourtant un endroit stratégique de Constantine, c'est sa vitrine, mais c'est inacceptable de le laisser dans cet état ! » s'est écrié un couple, venu de Annaba. En réalité, quoi qu'en en dise, les mots sont impuissants à décrire l'état de dégradation dans lequel se trouve le Rhummel et ses alentours. Dire qu'il y a quelques semaines, l'APC, plus précisément le secteur de Sidi Rached, a lancé une campagne de nettoiement tous azimuts, que tous les médias avaient annoncée en grande pompe ! Il faut bien se rendre à l'évidence : ce n'était que de la poudre aux yeux. Il est clair, que chez nous, l'on s'essouffle à la rapidité de l'éclair ! « Il n'y a aucune conscience, car on va vers la catastrophe. Que font nos élus ? » s'alarme une dame, qui, tout comme nous, était penchée sur la rambarde, regardant, la mine horrifié, ce véritable crime écologique. Combien sont-ils à s'offusquer de cette choquante réalité ? Ils ne sont pas légion. Même ceux qui ont amorcé la restauration de la médina, à l'entrée de Souika, sont partis, en laissant derrière eux gravats et autres déblais. Et cela ne date pas d'hier. Les autorités de la ville pourraient peut-être envisager de faire un tour pour constater de visu la décadence de cette cité millénaire, réputée par son savoir, et aussi son savoir-vivre. Ses figures de proue doivent bien se retourner dans leurs tombes !