- Il semble y avoir consensus autour du fait que l'élimination de Ben Laden n'aura pas de répercussions sur AQMI… Votre sentiment ? AQMI fonctionne comme toutes les filiales, de manière autonome et, de ce point de vue, la disparition de Ben Laden ne l'affectera pas. En revanche, la personnalité du prochain leader d'Al Qaîda pourrait avoir une incidence. Trois noms circulent parmi ceux susceptibles de prendre la suite, dont Abou Yahya Al Liby – le correspondant attitré de Ben Laden avec AQMI. C'est un Libyen, proche d'Al Zawahiri, et s'il était choisi, il pourrait avoir à cœur d'affirmer une plus grande présence de l'organisation terroriste dans sa région. Tout cela, à condition, bien sûr, qu'Ayman Al Zawahiri, successeur naturel de Ben Laden, arbitre la bataille de la succession et ne se porte pas candidat.
- Dans le cas où Ayman Al Zawahiri devenait le nouveau numéro 1 d'Al Qaîda, les relations entre la centrale et Abdelmalek Droukdel changeront-elles ? Il faut s'attendre à des relations conflictuelles. Car Al Zawahiri et les anciens cadres du «djihad égyptien», majoritaires dans le nouvel état-major central, seront tentés de reprendre la main sur les réseaux européens qu'ils ont longtemps dirigés et contrôlés dans les années 1990.
- Pourtant, Al Zawahiri avait adoubé Droukdel… Dans les correspondances entre Droukdel et Al Zawhiri, durant la période qui sépare l'allégeance officielle du GSPC à Al Qaîda, le 11 septembre 2006 et la création d'AQMI, le 24 janvier 2007, Droukdel suggéra la création d'Al Qaîda fi Bilad Al Moutawassat (Al Qaîda au pays de la Méditerranée). Al Zawahiri s'opposa à ce projet en prétextant qu'un émirat ne pouvait pas englober une partie de la terre d'Islam et une partie de la terre impie. En réalité, derrière cette réponse théologique, se cachait une autre motivation : Al Zawahiri ne voulait pas perdre le contrôle des réseaux européens du djihad. Alors il proposa à Droukdel la création de deux émirats : Al Qaîda fi Bilad Al Barbar (Al Qaîda au pays des Berbères) qui devait fédérer tous les pays du Maghreb ; et Al Qaîda fi Bilad Es Soudan (Al Qaîda au pays de l'Afrique noire), le premier émirat sous l'égide de Droukdel et le second, autonome, sous l'autorité de Mokhtar Ben Mokhtar, le plus ancien chef djihadiste au Sahel. Cette manœuvre avait clairement pour objectif de couper court aux ambitions euro-méditerranéennes de Droukdel. Car, comme Ben Laden en 2001, Al Zawahiri est convaincu que le contrôle du Sahel sera la clé de l'Europe. Droukdel, à son tour, refusa. D'abord parce que l'argent et l'armement venaient du Sahel. Ensuite parce qu'il craignait une guerre des chefs semblable à celle qui avait conduit à l'éclatement du GIA, en 1996. Après cinq mois de tractations, il gardera finalement la mainmise sur le Sahel.
- Mais jusqu'à quand ? Alors que les émirs du Sahel connaissent une médiatisation internationale, Droukdel, dans son maquis kabyle, semble empêtré dans un agenda algéro-algérien… Il est vrai que ses tentatives d'incursion en Tunisie, au Maroc et dans une moindre mesure en Mauritanie ne se sont pas concrétisées. AQMI a pris une dimension internationale grâce aux prises d'otages. Elles ont, de plus, été soutenues à deux reprises par Ben Laden via des vidéos, et ont permis de constituer une véritable rente : de 150 à 200 millions de dollars depuis 2003 ! Alors oui, un conflit pourrait éclater si les activités d'AQMI au Nord venaient à diminuer pendant que celles d'AQMI au Sud se multiplient au point que le Sahel devienne le centre de gravité de l'organisation. Cela rendrait une rébellion, un nouveau «putsch sahélien» contre le commandement central plus facile…