Cet après-midi, à quinze heures, à la Librairie internationale Chihab de Bab El Oued, le roman de Mohamed Dorbhan, Les Neuf jours de l'inspecteur Salaheddine (Editions Arak, 2011) sera présenté au public. Celui-ci ne pourra pas rencontrer l'auteur, emporté le 11 février 1996, dans l'attentat contre la Maison de la Presse, avec ses confrères du Soir d'Algérie, Allaoua Aït-Mebarek, Djamel Derraza, ainsi que de nombreux passants de la rue baptisée du nom de Hassiba Ben Bouali, victime elle aussi d'une bombe – coloniale celle-ci –, avec ses trois illustres compagnons de destin. Mais, pour autant, Dorbhan ne sera pas absent. Ceux qui l'ont connu savent que, même vivant, son immense timidité, son énorme anticonformisme et son sens infini de la facétie auraient bien pu se liguer pour pousser cet éternel adolescent à ne pas se pointer au rendez-vous ! Il sera donc là à travers les 319 pages de son roman, achevé par hasard (ou pied de nez, on ne le saura jamais), le 14 juillet 1989, soit le jour même du bicentenaire de la Révolution française. Il sera là à travers cet improbable et pourtant si réaliste inspecteur Salaheddine, son personnage qui, par maints aspects, est aussi sa personne. Rêveur, passionné, amoureux, sensible sans trop le montrer, intelligent, dilettante, fou d'histoire et de mythes anciens, sa vraie scène de crime, préférée à celles du métier. S'interroger sur la part de l'auteur dans celle de ses créatures est un exercice courant, parfois même lassant. Dans les circonstances présentes, il devient fantastique et prendra, dans ce quartier de Bab El Oued qui fascinait Dorbhan (et l'amusait, car il ne concevait rien sans la «pétillance»), une dimension émouvante. Il y avait quelque part du Boris Vian en lui. Par l'humour élevé au rang de philosophie et de sacerdoce. Par la curiosité assoiffée, le menant de la vie des fourmis à la géostratégie, du mouvement des planètes à la configuration humaine d'un café de la rue de la Lyre. Par la pluridisciplinarité aussi. Aussi, s'il n'avait jamais joué de la trompette, il avait été à la fois caricaturiste, reporter, chroniqueur, photographe et graphiste, touchant aussi à la peinture et l'aquarelle, embrassant l'expression par tant de facettes, réalistes ou fantasmagoriques, qu'il avait souvent le besoin de les mêler. A tous ces doigts talentueux, comme on disait jadis d'une jeune fille accomplie, il ajouta celui du roman, comme ça, au passage, n'en parlant qu'à un ou deux amis comme d'un vague projet, une expérience parmi d'autres (sa timidité encore, son humilité aussi). Et là, après que sa famille ait exhumé le manuscrit, qu'un ami rare l'ait pris en charge, que ces pages, entamées au lendemain d'Octobre 1988 et achevées un an après, aient été imprimées, voilà que l'on découvre un écrivain racé, non pas par la grâce accolée au martyre, mais bien par la maîtrise de l'écriture, comme le souligne son préfacier, le poète Abdelmadjid Kaouah, ainsi que la verve imaginative qui parcourt ce «vertige verbal». Nous vous le disions, il sera bien là cet après-midi.