L'homme de théâtre, Slimane Benaïssa, revient sur la scène des théâtres de Kabylie, après des années d'éclipse forcée par un long exil. Le craquement des planches s'est fait entendre à Béjaïa avec trois représentations, puis deux autres spectacles, le week-end dernier, au théâtre régional Kateb Yacine de Tizi Ouzou. Benaïssa est de retour avec la pièce Wel Moudja Wellet (Et la houle revient), un monologue écrit et interprété par lui-même, et dont le sobre décor a été réalisé par l'artiste peintre Arezki Larbi. Durant les 60 minutes qu'a duré la représentation, Slimane Benaïssa, qui a campé le rôle de son inénarrable personnage Boualem, a égayé la nombreuse assistance du théâtre Kateb Yacine avec son style corrosif et son humour féroce, décortiquant l'histoire du pays et analysant la société algérienne contemporaine, notamment l'orientation islamiste donnée à l'école qui vit sous l'emprise de l'intégrisme. Wel Moudja Wellet est aussi une fresque historique et un tableau critique du détournement des idéaux de la Révolution algérienne et la confiscation des libertés, illustrée d'ailleurs à la fin du spectacle par une pancarte en tamazight, en arabe et en français, proclamant : «Plus jamais ça !» Wel Moudja Wellet est aussi un dialogue sourd entre des générations qu'un fossé sépare. Le monologue, qui est un hymne à la liberté et au progrès, est en même temps une dérision qui a laissé le public hilare pendant toute la représentation. Slimane Benaïssa, fidèle à son théâtre, a puisé dans la tradition orale des adages, de la poésie en arabe populaire, des références à l'appartenance amazighe de l'Algérie, des socles de l'identité algérienne brimés par l'idéologie arabo-islamiste, passés à la moulinette. La scène de ce théâtre a augmenté en surface après les travaux d'aménagement dont les coûts sont sujets à controverse. Le décor attire le public par l'immense horloge sans aiguilles qui trône au milieu, qui semble suggérer non pas l'intemporalité, mais la linéarité de l'histoire millénaire d'un pays qui aspire à un avenir dont les horizons sont indéfinis. Cette pièce, qui est une synthèse des productions cultes de Benaïssa comme Babor Ghreq et Boualem Zid El Goudam, est mise à jour avec des regards critiques d'une rare violence textuelle de l'auteur sur un quotidien dramatique. L'assistance apprécie et applaudit le comédien. Le public tizi-ouzouéen, sevré de spectacles du quatrième art, s'est réconcilié avec les planches qui ont craqué sous les pieds d'un monument du théâtre algérien, Slimane Benaïssa. L'interminable standing ovation qui lui est offerte par le public à la fin du spectacle est la preuve de cette admiration et de cet attachement pour un comédien qui n'en demandait pas tant.