Tel un cadavre en décomposition sont les fameuses « stations de dessalement » d'eau de mer, dont avait fait don le groupe Khalifa à l'Etat algérien en été 2002. Un mythe qui s'effondre laissant le souvenir d'énormes espoirs vite trahis et mettant à nu toutes les faiblesses d'un système incapable de se prémunir des moindres subterfuges destinés à porter des coups sévères à la trésorerie publique. Solidement attachées au quai du petit port de pêche de Zemmouri (Boumerdès) où elles sont arrivées le 18 août 2002 pour éviter qu'elles ne rompent les amarres et menacer, comme durant l'hiver 2002 et 2003, la sécurité des marins de l'ANP, des pêcheurs et de leur embarcation, les deux stations, d'une capacité de production de 1500 m3/jour chacune finissent leur périple : ces mastodontes en métal sur des berges flottantes sont en train d'être démontées par une société spécialisée dans le recyclage des métaux, la SARL Marine métal recycling industry et qui les a rachetées à une autre société de vente de déchets ferreux et non ferreux domiciliée à Annaba, dans l'Est algérien. Celle-ci les avait acquises lors d'une vente aux enchères organisée par la direction des Domaines de Boumerdès le 10 mai dernier, pour 3 610 000 DA, un prix majoré d'une taxe de 397 100 DA. Une somme négligeable comparée au coût d'« achat » rapporté par la presse et qui avoisine les 67,5 millions de dollars US. « Il y a près de deux mois que le démantèlement a commencé. C'est une tâche qui ne semble pas aisée à voir l'avancement de l'opération », commente un pêcheur que nous avons rencontré sur place. En effet, « près de 60 jours » et l'on est encore avec la première station sans avoir pu toucher à la deuxième. « Ces stations quittent Zemmouri comme elles y sont arrivées, après bien des péripéties », déclare un cadre local qui se rappelle « qu'en juin 2002, le ministère des Ressources en eau avait refusé d'autoriser leur installation à El Hamma, à la baie d'Alger, étant trop polluée ». Par conséquent, elles seront bloquées au port d'Alger jusqu'au 18 août pour enfin prendre le chemin de Zemmouri. Le cadeau de Khalifa, qui se révélera par la suite « empoisonné », arrive dans le port de cette petite localité située à une vingtaine de kilomètres à l'est de Boumerdès dans une conjoncture assez particulière. La sécheresse est alors à son paroxysme et la peur de ses conséquences fâcheuses commence à avoir raison des optimismes les plus tenaces. Le plus important réservoir d'eau de toute la région, le barrage de Keddara, se tarit. Même les quelques espèces de poisson qui y sont introduites sont menacées de mort. Si cela arrivait, le peu d'eau qui reste risquerait d'être pollué. On va jusqu'à y organiser une opération de pêche tous azimuts pour pallier à ce risque. Les réserves souterraines, les nappes des Issers notamment, ne suscitent pas, non plus, de l'optimisme. Le centre du pays en entier est soumis à l'angoisse que nourrissait la sécheresse. C'était le bon moment pour « frapper ». Le « don » se révélera aussi n'être qu'un moyen pour s'ouvrir une large voie d'exportation de devises. Et ce n'était qu'une partie d'un « contrat » plus important qui portait l'importation de cinq stations d'une capacité globale de 50 000 m3/j, dont une de 30 000 m3/j, deux de 5000 et deux autres de 1500. Elles devaient être importées par l'entremise d'une société saoudienne, Huta-Sete, pour un contrat de près de 200 millions de dollars US. Les Saoudiens avaient la charge de négocier la transaction avec une firme hollandaise. L'acquisition des deux stations de Zemmouri aurait permis le transfert de 67,5 millions de dollars mis au compte de la société saoudienne. Des équipements qui « avaient servi durant plus de 15 ans avant leur introduction en Algérie », nous confie une source proche de l'hydraulique qui s'indigne cependant : « On ne l'a su que plus tard. » Sitôt arrivées à Zemmouri, des travaux ont été lancés pour ces équipements aux infrastructures du réseau d'AEP. Les stations de Khalifa étaient destinées à alimenter essentiellement les deux villes de Zemmouri et Zemmouri El Bahri. Vers la mi-septembre de l'année 2002, elles ont été mises en service. Mais quelques jours après, les quatre techniciens qui assurent leur fonctionnement, des Philippins, « confrontés aux problèmes de renouvellement de leurs visas, rentrent chez eux. On était au mois d'octobre ». Pourtant, selon une source proche de l'ADE, le groupe importateur des stations s'était engagé à assurer leur fonctionnement durant six mois en apportant les produits chimiques nécessaires et l'énergie et en assurant la formation des techniciens qui devaient prendre la relève. S'en suivit une paralysie totale de ces intrigantes machines qui achèvent de les démystifier en les rendant inutile, voire gênantes. « C'est un amas de ferraille qui non seulement occupe des espaces dans le port, mais représentent une menace pour tout ce qu'il y a ici », nous dit un pêcheur de Zemmouri qui se souvient qu'« à deux reprises, en rompant les amarres sous l'effet d'une tempête, elles ont failli réduire en pièces de nombreuses embarcations ». Lorsque la décision de mettre le groupe Khalifa en liquidation a été prise, les deux stations de Zemmouri étaient déjà à l'arrêt. « C'est un matériel vétuste qu'on n'a accompagné d'aucun document technique », nous dira un cadre de la wilaya. Le procès tant attendu situera-t-il toutes les responsabilités ? En attendant, dans l'ordre naturel des choses, on se sépare de quelque chose qui, en arrivant, fait le bonheur dans la douleur. Aussi, loin des feux de la rampe, dans le silence que ne vient perturber que les fracas des vagues, on procède au démembrement d'un équipement qui, à son arrivée, nourrissait l'espoir de vaincre une calamité : la sécheresse. Mais beaucoup ne savaient pas que c'était cher payé.