Le jeune metteur en scène, Faouzi Ben Brahim, a, à travers la pièce Moustanqaou al dhiaab (Le marécage des loups), apporté un peu d'air frais au théâtre. Enfin une touche de modernité au Festival national du théâtre professionnel (FNTP), qui en est à sa sixième édition, et qui se déroule au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi à Alger. En assistant, lundi soir, à Moustanqaou al dhiaab (Le marécage des loups), la nouvelle pièce du théâtre régional de Batna, mise en scène par Faouzi Ben Brahim, on est agréablement surpris par le ton nouveau, l'originalité du jeu et la souplesse de l'esthétique. Il y a, c'est évident, de l'air frais dans cette pièce composée et imaginée par des jeunes à partir du texte du Suisse Friedrich Durrenmatt, Franck V. Le public, qui a applaudi des comédiens à la fin du spectacle, a adhéré à une pièce à lire sous différents angles. Jouée en arabe classique, la langue importe peu, Moustanqaou al dhiaab, dont le titre, et même l'affiche, rappellent la fameuse série turque, restituent l'histoire de Gottfried Franck ou Franck V qui a hérité de ses ancêtres une banque. Il n'y a rien de royal dans cela. C'est juste une dynastie. Mais, Franck V, grand amateur de la philosophie de Goethe, est incapable de gérer la banque comme pourrait l'être un roi faible ou un président malade. Il a dilapidé la fortune comme un marchand perd la poudre de sucre d'un sac troué. Il pense alors à «liquider» la banque et à couler des gens heureux avec ce qui lui reste comme richesses. Le patron doit donc traiter avec des fonctionnaires organisés en véritable bande. Ils pratiquent l'art du vol, de l'escroquerie, de la rapine…Bref, une image réduite de ce qui se passe à l'échelle d'un nation où la corruption est érigée en sport de performance. Chez ces «banquiers», tout est permis : faire des doubles de clefs, dévaliser la caisse, rouler des porteurs de projets, et, pire, chercher dans les poches du voisin, du client. La domination de l'économie informelle, en Algérie par exemple, n'est-elle pas une forme psychologie évoluée de l'escroquerie couverte d'impunité ? Comme à Khalifa Bank, les clients de la banque de Franck V ne récupèrent jamais les fonds déposés ! Il en est de même des personnes qui ont fait confiance aux grandes banques américaines. La crise financière de 2008 a dévoilé la voracité de certains maîtres de Wall Street (La dynastie des Franck est de la même culture !) La banque n'est dans cette pièce qu'un prétexte pour évoquer sur ce qui peut se passer dans un espace vaste doté de frontières, d'argent et d'armée. Même si, en Algérie, encore une fois, le scandale Khalifa rappelle que «la banque» est un domaine réservé aux plus forts. Le rouge et le noir utilisés dans les décors Moustanqaou al dhiaab ne fait allusion à aucun établissement financier. On sait depuis Stendhal et depuis Le rouge et le noir, roman paru il y 180 ans, que la bourgeoisie et l'ordre religieux peuvent ne pas s'entendre. Mais, «les pouvoirs» finissent toujours par se rejoindre lorsqu'il est question de défendre des positions acquises, d'intérêts… La pièce de Faouzi Ben Brahim tente de dénuder l'âme humaine et de montrer comment la bonté et l'amour sont «happés» par l'égoïsme, par la pollution matérielle et par les sentiments volatiles. Lorsqu'il se met sur les sentiers «lumineux» de l'argent, de la brillance sociale, l'homme, petit être insignifiant devant la grandeur de l'univers, adopte des réflexes bestiaux. D'où ces tentatives d'assassinat entre les «bandits» de la banque. Des coups de feu sont tirés, mais pas de sang. Un huis clos glauque ! Il y a toujours cette quête d'aller au-delà de l'habit étroit de la vie et des contraintes. D'où ce mouvement réussi des comédiens vers «le hors» scène. Des comédiens qui se mettent en bordure de scène, comme on peut l'être à côté d'une rivière, pour préparer les plans de défense (ou d'attaque) contre l'auteur d'une lettre anonyme. Ici et là, on détecte des touches comiques, des gestuelles clownesques tirées de la philosophie même de Friedrich Durrenmatt. La scénographie Moussa Noun n'est pas mauvaise. Oucif Messaoud a réussi à concevoir des costumes brillants qui reflétaient assez bien l'atmosphère plutôt grise de la pièce. Faouzi Ben Brahim, 26 ans, a pu s'adapter au langage nouveau de la dramaturgie en mettant en scène sa première pièce. Il y a chez lui une maîtrise du sujet avec une forte envie de secouer les boîtes fermées du théâtre algérien et d'ouvrir les fenêtres. Moustanqaou al dhiaab nous fait presque oublier les prestations précédentes au FNTP dans sa version «In» (compétition officielle). Les comédiens, Halima Ben Brahim, Salah Boubir, Fouad Leboukh, Samir Oudjit, Nawal Messaoudi, Mohamed Tahar Zaoui, Mustapha Sefzani, Aïcha Messaoudi, Foudhil Assoul et Youcef Sehaïri n'ont pas déçu. Certains doivent, toutefois, éviter la surcharge vocale, d'autre mieux maîtriser l'articulation. C'est facile à apprendre pour des jeunes qui promettent…