Encore une énorme bourde de Ouyahia. Lors de sa conférence de presse retransmise, dimanche dernier, en différé, sur les trois chaînes par la Télévision nationale, le Premier ministre s'est cru obligé, pour conforter le tableau idyllique qu'il a présenté sur l'état de santé du pays, d'affirmer par un raccourci dont lui seul connaît le tracé que «l'Algérie n'est pas en crise». Après avoir donc déclaré, il y a quelques semaines, que la crise chez nous n'est pas politique, il va aujourd'hui plus loin dans son analyse en soulignant que cette crise, qui est pourtant partout dans les débats et que les Algériens, surtout les plus démunis, vivent dans leur chair au quotidien, est presque à ses yeux une invention de l'esprit. Faut-il pour autant s'étonner d'une aussi péremptoire constatation de la part du premier responsable de l'Exécutif lorsqu'on a une idée sur ses extraordinaires capacités à défendre l'indéfendable, ses hautes performances à arrondir les angles, même quand la situation économique et sociale, et bien évidemment politique, n'a pas besoin d'experts qualifiées pour être classée dans la norme critique. L'homme qui sait tout, qui maîtrise tout, qui a l'art de répliquer, parfois avec un cynisme insupportable, à tous les pessimismes possibles et imaginaires, persiste et signe ainsi dans une ligne éditoriale qui est loin d'être partagée par les hautes instances du pays chez qui le premier souci de l'heure est de faire en sorte de dire la vérité aux Algériens même si celle-ci est dure à avaler et de trouver les solutions aux problèmes les plus urgents qui se posent à eux. A commencer par le chef d'Etat en personne qui s'est empressé, devant la gravité de la tournure prise par le mécontentement populaire concernant la cherté de la vie, la corruption, le chômage, le clientélisme, autrement dit les fléaux qui provoquent les ras-le-bol, par aussi les dangers d'instabilité induits par la contagion des révoltes dans certains pays arabes et par enfin les revendications incessantes sur les nécessaires transformations démocratiques du système de gouvernance, à imaginer un programme de réformes qui touchent en priorité aux textes fondamentaux du pays, passage obligé pour entrevoir un visage de l'Algérie plus en rapport avec les aspirations de son peuple. Pourquoi le Premier ministre se permet-il de souffler le froid souvent avec une assurance déconcertante lorsque le baromètre de la vie politique et socioéconomique indique un signal plutôt alarmant ? Fait-il cavalier seul en pensant à une carrière politique qui doit le mener, un jour ou l'autre, à la plus haute cime du pouvoir et pour laquelle il doit donner des gages démagogiques en conformité avec l'esprit de continuité d'un système qui n'accepte de se recycler que par lui-même ou alors est-il en charge d'une consigne d'apaisement surévalué qui doit rassurer une opinion publique de plus en plus méfiante vis-à-vis de ses dirigeants. En tout état de cause, si tel est le cas, c'est complètement raté, car la majorité des citoyens – et il n'est nul besoin d'une expertise de sondage pour le confirmer – ne fait plus confiance à ses gouvernants, estimant que ces derniers parlent du haut de leurs tribunes, mais ne connaissent pas grand-chose de la vie courante que vivent les gens. A-t-on en effet vu un maire, un wali, un ministre aller à la rencontre, dans les lieux publics, des citoyens pour mieux appréhender leur désespérance. A-t-on vu un jour un de ces responsables prendre le bus, s'attabler dans un café populaire, faire le marché comme tout le monde ? Ont-ils une idée précise sur les mercuriales des fruits et légumes ? En règle générale, si les Algériens ne se reconnaissent pas dans le paysage (ou le panel) politique et administratif qui les entoure, c'est en partie parce qu'ils pensent que les responsables qui s'expriment à leur place ne leur ressemblent pas. Parler donc aux Algériens de changement ou de réformes politiques pour amener l'Algérie à une situation plus juste, plus équitable, plus représentative, c'est d'abord les convaincre que le vrai changement doit passer par le renouvellement du personnel politique, celui en poste depuis des années ayant fait la preuve de son échec. C'est également leur donner la preuve que le problème de l'intégrisme politique est définitivement réglé, que le futur président de la République ne soit plus désigné par l'armée, que le Parlement ne soit plus une simple chambre d'enregistrement, que la fraude électorale ne soit plus institutionnalisée, que la corruption qui gangrène toutes les sphères de l'Etat ne fasse plus partie de nos mœurs politico-économiques, que les compétences et les élites ne soient plus marginalisées…Pourquoi Ouyahia n'aborde jamais ces sujets.