Pour avoir pris, il y a huit ans, les commandes du premier syndicat autonome dans la région, il a été renvoyé. Aujourd'hui encore, M'hamed Hadji se bat pour ses droits et la liberté de se syndiquer. Il attend une décision du Conseil d'Etat qui le réintégrerait dans son poste. Loin d'Alger, le difficile combat d'un syndicaliste à Chlef. - Comment vous êtes-vous lancé dans le syndicalisme à Chlef ? En 2003, une section du Syndicat national autonome des personnels de l'administration publique a été créée à Chlef et j'en ai pris les commandes. C'était révolutionnaire ! On ne dépendait plus de l'UGTA. Je travaillais à l'APC au service mécanique pour véhicules de service. La majorité de nos adhérents étaient des travailleurs du service municipal de nettoyage car ils souffraient d'asthme. Nos premières revendications étaient donc d'ordre médical. Nous demandions à ce qu'ils bénéficient d'une visite médicale régulière et qu'ils puissent boire du lait le matin avant de commencer le travail. Mais en réponse à nos réclamations, nous n'avions qu'un silence assourdissant… - Qu'avez-vous fait ensuite ? C'était le début des mouvements de grève à Chlef, un long combat semé d'embûches. En 2005, nous avons mobilisé les travailleurs devant le siège de l'APC. Il y avait entre 300 et 500 grévistes, et sur nos banderoles, des mots d'ordre simples : «Non au mépris, non aux entraves, non au silence de l'administration». Mais en face, nous n'avions toujours aucune réponse. - Votre stratégie ne fonctionnait pas, mais vous avez persisté... Oui, et de plus belle ! En 2006, nous avons décidé de faire grève tous les 17, 18 et 19 de chaque mois. On se rassemblait devant le parc de l'APC, on sortait nos banderoles et on faisait notre sit-in. Un service minimum était assuré pour les services d'urgence. Bien évidemment, nous n'avions toujours pas de réponse de l'administration. Alors nous sommes montés d'un cran dans la revendication. Trente personnes du Snapap ont entamé une grève de la faim pour alerter les autorités sur nos conditions de travail. Après huit jours, le président de l'APC et le chef de daïra sont venus à notre rencontre pour que nous cessions la grève de la faim en échange d'un accord verbal sur nos revendications. Nous avons donc levé la grève. - Avez-vous obtenu tout ce que vous réclamiez ? Ce serait mal connaître notre administration. Dès la fin de la grève, nous avons tous rejoint nos postes. Seulement, à notre grande surprise, nous avons tous été destinataires d'une lettre de l'APC nous renvoyant. Nous fûmes virés pour abandon de poste pendant la durée de notre grève de la faim ! Nous avons immédiatement écrit au président de l'APC pour lui dire qu'il nous avait trahis. On est montés à Alger pour rencontrer le ministre de l'Intérieur. Un de ses conseillers nous a aimablement reçus. Il a appelé le wali en nous promettant la réintégration des trente grévistes de la faim, dont moi-même, ce qui fut chose faite. - Tout est bien qui finit bien... Mais le président de l'APC avait la rancune tenace. Il nous a envoyé le gardien de la mairie. Celui-ci est venu nous provoquer avec des phrases du genre : «Vous n'êtes rien. Votre syndicat n'est pas un vrai syndicat.» J'ai laissé dire, sans réagir à la provocation. Le 18 septembre 2006, j'ai été convoqué en commission disciplinaire. On m'accusait d'avoir frappé le gardien. Je n'en revenais pas ! Surtout que j'avais des témoins, et que lui-même, le gardien, ne daignait même pas se présenter à cette commission disciplinaire. Mais la messe était dite, le président de l'APC s'est vengé. - Vous n'avez pas tenté une action en justice ? Si, bien sûr. J'ai déposé un recours auprès de la cour administrative. Deux ans plus tard, le jugement tombe : il annule ma révocation car la partie adverse n'a pas de preuves. L'APC fait appel du jugement, le dossier est renvoyé devant le Conseil d'Etat. J'attends toujours le jugement final… - Entre 2006, date de votre révocation et aujourd'hui, cinq ans se sont écoulés. Comment avez-vous fait pour vivre ? A l'époque, j'étais payé 12 000 DA. Cinq ans après, si j'étais resté en poste, j'aurais perçu un salaire de 20 000 DA. Je suis marié, j'ai trois enfants à charge, et vous le voyez, je vis chez mes parents avec cinq frères dont trois sont mariés. Après ma révocation, je me suis débrouillé. J'aide la famille, je travaille au marché de gros de Chlef. Rien à voir avec mes compétences, mais il faut bien faire vivre ma petite famille… Je sais que les autorités municipales veulent nous faire «baisser le drapeau», que je m'excuse auprès d'eux, mais je ne le ferai jamais, car justement, il n'y a aucune excuse à donner. Le droit de grève et le droit syndical sont un droit reconnu par les conventions internationales. A ce titre, il doit être respecté en Algérie. C'est un combat et je suis prêt à en payer le prix !