Le pain s'empile au coin des rues et marchés de la capitale Alger dans des sacs en plastique de couleur noire, rose, orange, vert, bleu et transparent. Parfois, cet aliment est jeté à même le sol. Des vieillards et des enfants viennent le récupérer dans des brouettes ou dans de grands sacs vides de farine de 50 kilos, pour les vendre à des éleveurs de volailles, de cheptel ou de bétail pour le prix de 100 DA le sac de 5 kilos. Dans le quartier d'El Harrach, près de la bergerie, cette activité est exercée de père en fils. Des frères, mécaniciens de leur état, avec leur père, achètent des quantités de pain rassis aux enfants entre 60 et 70 DA le sac de 5 kilos pour le revendre aux bergers et éleveurs de bétails entre 100 et 110 DA, affirme Rabah, la cinquantaine qui visiblement est le frère aîné. Rabah et ses frères, les mains pleines de cambouis, étaient autour d'une voiture dont le capot est ouvert, à l'extérieur de leur grand garage, situé derrière la bergerie. Pendant qu'ils tentent de réparer le véhicule, ils expliqueront : «Le mercredi, nous trions le pain que nous achetons à des enfants des environs. Nous nous débarrassons du pain moisi puis nous le mettons sur une bâche à même le sol pas loin de notre garage pour le sécher au soleil». D'ailleurs, le mercredi est le jour du grand marché de l'ovin à 100 mètres de chez eux, indique-t-on. Un lieu de rendez-vous hebdomadaire des revendeurs de pain rassis. En effet, ce mercredi matin, vers 7h30, les revendeurs de pain rassis étaient là. Des camionnettes chargées de pain qu'on apercevait à peine de loin. De près, lorsque l'un des collecteurs, Saïd, debout devant son chargement couvert par une bâche la soulève à peine pour négocier le prix et les quantités avec le revendeur, du pain mis à même le plancher est présenté comme une marchandise au revendeur Aami Mohamed. Ce dernier est un vieillard de 70 ans, ancien moudjahid et père de 12 enfants, selon ses propos. Il ne passe pas inaperçu en raison de son chapeau couleur beige et sa canne. Il est debout devant une dizaine de grands sacs de pain, bien emballés dans de grands sacs de farine vidés, et discute avec Saïd qui visiblement est son fournisseur habituel en pain rassis. Aami Mohamed rode autour de sa marchandise exposée non loin d'un troupeau de moutons bien gardé par un berger et ses acolytes à l'entrée du marché hebdomadaire de l'ovin. Natif de Sour El Ghozlane, ancien combattant de la guerre de libération, usé par le poids de l'âge et les difficultés de la vie, Aami Mohamed lâche : «J'ai fait la révolution et je vis du pain rassis que je vends 50 à 60 DA le sac de 12 kg ». Et d'ajouter : «Je me lève à 2h du matin pour sillonner les quartiers de la capitale à la recherche du pain déposé devant les portes des maisons ou à côté des bennes à ordures». A quelques pas, face à lui, de l'autre côté de la rue, un autre revendeur, plus jeune d'environs 60 ans, un retraité, en djelaba et barbu, expose également 10 sacs de pain soigneusement emballés. Il indique que ses prix varient entre 150 et 160 DA les 12 kg de pain rassis. Ce dernier refuse d'être identifié et d'en dire plus sur son activité. Plus loin, un autre vieillard confortablement installé dans une Renault Clio bleu marine, chargée de sacs de pain même sur le toit, affirme être un éleveur de bovin. Méfiant, il ne dira pas plus. Ailleurs, dans un autre quartier d'Alger-Centre, Aami Hocine vit de cette activité, il prend sa Clio blanche pour faire chaque fois qu'il est nécessaire le tour du quartier pour ramasser du pain, racontent ses jeunes voisins en son absence. Souvent, selon eux, des gens posent des sacs de pain près de sa porte dans l'immeuble là même où des morceaux de pain sèchent à l'air libre sur du plastique dans le hall de la bâtisse et parfois même dehors.