Le Tunisien Moufadhel Adhoum est luthiste et leader du groupe belge Hijaz. Hijaz, qui fait dans le jazz oriental et maghrébin, a participé au 9e Festival international du jazz de Constantine (Dimajazz 2011). Formé en 2004, par Moufadhel Adhoum et par le pianiste grec Niko Deman,Hijaz s'est élargi par l'arrivée des percussionnistes marocain Azzedine Jazzouli et belge Chryster Aerts, ainsi que le bassiste belge Vincent Noiret. Moufadhel Adhoum introduit dans ses compositions des touches maghrébines et tente de ne pas tomber dans la facilité du jazz oriental. Il s'inspire des maîtres du oud, Anouar Brahem et Rabih Abou Khalil, mais sans les imiter. Il a sa propre touche et sa propre sensibilité. Hijaz a déjà produit deux albums et s'apprête à lancer un troisième. Dans sa démarche musicale, le groupe a toujours le souci de l'innovation. -D'où vient ce nom de Hijaz que vous donnez à votre groupe ? Cela vient du fait que la musique que nous faisons est une fusion entre le jazz et la musique arabo-orientale. Hijaz est également le nom d'un maqam, mode, musical arabe connu et très utilisé. On peut dire qu'on fait du jazz oriental ou de la musique arabe jazzée. Cela va dans les deux sens. Je suis d'origine tunisienne. Ma formation a été plutôt classique, puis orientale et traditionnelle tunisienne. Cet apprentissage est resté en moi et est exprimé dans mes compositions. Cela on le voit à travers les phrases musicales. Le traditionnel tunisien n'est pas loin du malouf constantinois. -Il y a beaucoup de percussions dans votre travail musical… Là, c'est aussi un choix. Ce que nous nous voulons faire à Hijaz, c'est casser une tradition. Celle de compositions arabo-orientales où il y a accompagnement d'instruments sans touches personnelles ou encore d'un jazz joué avec l'oud. Nous ne préférons pas faire cela. Dans notre musique, il y a un vrai dialogue entre instruments. C'est voulu pour éviter d'être routinier. Nous essayons de ne pas faire ce que les autres font déjà et présenter au public quelque chose qui le fait, pendant une heure, voyager, rêver, bouger avec des rythmes entraînants et changeants. Et la percussion dans ces rythmes-là a une place importante. Au début et à la fin, la musique n'est que rythme ! On peut faire du rythme avec un instrument, mais on préfère donner plus de présence aux instruments de percussion qui sont d'ailleurs différents. Azzedine Jazouli (percussionniste marocain du groupe) utilise des instruments variés. Chaque instrument a sa couleur. -Quelle différence y a-t-il entre le jazz oriental que vous jouez et celui pratiqué au Liban, en Egypte et dans le Moyen-Orient ? Nous avons une touche nord-africaine avec des phrases orientales pures. Même si nous sommes du Maghreb, nous avons une appartenance à la musique classique commune à tous les pays arabes (…) Nous avons produit deux albums, Dunes et Chemsi (Soleil). On peut dire que le deuxième opus est la continuité du premier en imaginant une personne qui voyage dans le Sahara et qui trempe ses pieds dans le sable en marchant. Il regarde le sable changer de couleur selon les rayons du soleil. L'homme lève la tête et regarde le soleil emplir tout le Sahara. Chacun a son soleil à lui. Avec le titre Chemsi, nous avons voulu montrer que notre direction musicale est lumineuse. -C'est votre premier concert en Algérie ? Oui. Constantine a eu donc le privilège de nous accueillir en premier et d'écouter des morceaux de notre nouvel album. Nous avons déjà joué en Tunisie au Festival de la musique instrumentale il y a deux ans. Nous avons d'autres propositions pour d'autres pays arabes. Nous venons d'arriver de Londres où nous avons présenté notre album. J'espère qu'on va jouer au Maroc et au Liban… Nous sommes en train de préparer un nouvel album avec une nouvelle direction musicale. Dans notre second CD, nous avons invité d'autres musiciens, dont un violoniste hongrois manouche, un joueur de tabla indien et un joueur de nay tunisien. C'est donc de la diversité comparé au premier album. Les membres de notre groupe sont d'origines diverses. Cela entre dans notre philosophie. Chacun apporte sa touche personnelle qui s'insère dans l'ensemble. Tout le monde improvise. Et quand on improvise, on entre dans l'âme du musicien et dans ses sentiments. -Vous êtes tunisien. Comment avez-vous vécu la Révolution en Tunisie et la chute du dictateur Ben Ali ? Je n'aime pas l'appellation de «Révolution du jasmin». Je trouve cela dévalorisant. Il y a un manque de respect pour les jeunes qui ont offert leurs vies. Je préfère parler de Révolution tunisienne. Je l'ai vécu loin de la Tunisie. Cela fait 23 ans que j'attendais ce moment. Je fais partie des artistes qui ont quitté la Tunisie parce que la culture était inexistante du temps du président déchu. C'était un grand gâchis. J'étais en Espagne lorsque j'ai entendu que le président s'est enfui. J'avais les larmes aux yeux. J'ai suivi les événements à travers Al Jazeera Mobile jusqu'à la dernière minute avant de monter sur scène. C'était un événement marquant de ma vie. Dernièrement, j'ai entendu que le ministre de la Culture tunisien avait attribué l'ouverture du Festival de Carthage à des jeunes de la Révolution. Cela m'a fait un énorme plaisir. Aujourd'hui, nous entrons dans l'ère de l'éveil en Tunisie. Au niveau culturel, cet éveil doit se faire dans les meilleures conditions. La Tunisie mérite mieux que ce qu'elle a vécu pendant les 23 dernières années. Les artistes n'étaient pas respectés, n'avaient pas de statut. Ils devaient se soumettre à des pressions du régime pour jouer pour les membres de ce régime ou dans des festivals. Ce n'est pas cela l'art.