C'est dans la soirée de lundi, vers 21h, que le tribunal criminel près la cour d'Alger a rendu son verdict dans l'affaire opposant Sonatrach à la société ITGA dirigée par le Français Michel Huard : acquittement pour les deux cadres de Sonatrach – en l'occurrence Kherrour Brahim Cherif et Bensmaïl Mohamed – cités dans cette affaire ; quant au gérant d'ITGA, il a écopé d'une peine de 18 mois de prison ferme. Et comme il était détenu à la prison d'El Harrach depuis le 14 juillet 2009 (presque deux ans jour pour jour), l'entrepreneur français a été remis en liberté. Le fait marquant de cette audience, faut-il le souligner, est le retrait spectaculaire des avocats de la défense pour protester contre l'absence de deux experts qui devaient être entendus lors de ce procès. «Le président du tribunal criminel, Hellali Tayeb, a souligné que le tribunal a convoqué les deux experts, mais le premier, Bentouri, n'est pas venu en raison de son état de santé, alors que le deuxième, ‘Sassou', fait l'objet de poursuites disciplinaires», rapporte une dépêche de l'APS datée du 11 juillet. «C'est scandaleux ! C'est une première dans les annales de la justice algérienne : le président du tribunal a maintenu l'audience contre notre volonté alors que la défense s'est retirée et que même les avocats de la partie civile se sont retirés. Le juge a donc décidé de poursuivre le procès sans les plaidoiries contradictoires d'usage. C'est du jamais vu dans une cour de justice !» s'indigne maître Kader Tobdjili, membre du collectif de défense de Michel Huard, joint hier par téléphone. «Notre client a ainsi été jugé sans être assisté par ses avocats, ce qui constitue une violation caractérisée de la procédure», appuie-t-il. Pour rappel, le géant pétrolier et la société International Technical Group Algeria (entreprise de droit algérien et filiale d'ITG France) étaient liés par un marché remporté par ITGA par voie d'adjudication le 28 mai 2003. Ce marché, d'une valeur de 131 milliards de centimes (15 millions d'euros), portait sur la construction d'une base-vie à In Amenas au profit de Sonatrach. Une avance de démarrage de 1,5 million d'euros a été versée par le maître d'ouvrage à ITGA le 1er décembre 2003 contre une caution de garantie déposée auprès du CPA. Réhabilitation Suite à une lettre anonyme adressée à la Gendarmerie nationale par un ancien employé d'ITGA – un ressortissant français qui serait en litige avec Michel Huard – une enquête fut ouverte par les services de sécurité. Le patron d'ITGA a ainsi été accusé d'avoir «falsifié» la caution bancaire sur la base de laquelle l'avance de démarrage a été versée. Le 6 septembre 2004, Michel Huard est placé sous mandat de dépôt pour «malversations». MM. Kherrour et Bensmaïl, qui relevaient du service d'ingénierie et de construction du groupe pétrolier et qui siégeaient dans la commission d'ouverture des plis chargée de l'adjudication des marchés, sont inculpés dans la foulée, soupçonnés d'avoir «divulgué le contenu des soumissions et falsifié la prorogation de la caution accordée par le CPA», précise la dépêche de l'APS. L'entrepreneur français et les deux cadres de Sonatrach comparaissent aux assises et se voient condamnés, le 14 juillet 2009, respectivement à quatre et sept ans de prison. Une procédure en cassation fut engagée et, le 10 novembre 2010, un arrêt de la Cour suprême a annulé la condamnation de Michel Huard et de ses présumés complices. L'affaire devait être jugée derechef et après plusieurs reports, le procès a finalement eu lieu avant-hier dans les conditions que l'on vient de citer. Dans l'intervalle, l'état de santé de Michel Huard s'est considérablement dégradé. De surcroît, l'homme a observé une grève de la faim à plusieurs reprises, clamant ainsi son innocence. Au terme d'un procès qui aura tenu en haleine les prévenus toute la journée et qui a vu défiler quelque 20 témoins (sur les 45 convoqués), le verdict est enfin tombé, apportant sans doute un grand soulagement aux intéressés et à leurs proches. «Nous venons de déposer une demande de pourvoi en cassation. Même si ce verdict nous apporte un vif soulagement, nous réclamons l'acquittement pour notre client. Il y va de sa réhabilitation», déclare Me Tobdjili, avant de faire remarquer : «Si le procès s'était déroulé normalement, nous aurions certainement obtenu la relaxe pour notre client.» A noter que la seule charge qui a été retenue contre Michel Huard, en définitive, et qui lui a valu cette peine de 18 mois, est le «faux et usage de faux en écriture bancaire». «Le parquet, qui avait requis 15 ans de prison ferme pour les trois prévenus, va certainement aussi déposer un pourvoi en cassation», estime l'avocat. L'affaire risque donc de rebondir un jour. Mais au moins Mohamed, Brahim et Michel peuvent désormais rentrer chez eux et se refaire une santé auprès de leurs familles, eux qui ne sont pas près d'oublier les séquelles de leur incarcération.