Comment va l'économie américaine ? Epineuse question qui suscite un flot de réponses et d'analyses aussi divergentes les unes que les autres mais qui convergent toutes, tout de même, vers un diagnostic teinté d'optimisme mesuré : «A slow recovery», ce qui en clair veut dire qu'elle connaît une timide reprise. New York. De notre envoyé spécial
Mardi 7 juin. Déjeuner discussion dans un restaurant chargé d'histoire à Wall Street avec Abby Joseph Cohen, présidente de Goldman, Sachs & Co, l'un des cabinets d'affaires les plus puissants du monde. 21 journalistes issus des 5 continents sont autour de la table, fourchette et stylos dressés. Le déjeuner discussion est l'un de ces concepts typiquement locaux que les Américains n'ont pas vraiment réussi à exporter. Habillée le plus simplement du monde d'un T-shirt rose, Abby Joseph Cohen a les traits d'une délicieuse grand-mère prête à papoter avec ses gendres et ses brus. Difficile de croire que cette femme qui sirote son thé en face de nous est l'une des femmes les plus puissantes du monde. Son analyse de l'économie mondiale est tout simplement captivante. Abby, que l'on appelle par son prénom au bout de quelques minutes, commence par nous raconter tout ce quoi doit New York à ce magnifique port naturel qui a fait sa richesse. L'histoire des navigateurs et des marchands qui sillonnaient le monde à la recherche de richesses à rapporter. Celle de marchands qui se réunissent en clubs pour bâtir les fondements de la future bourse de New York. La transition est toute trouvée pour aborder l'économie, les marchés et les défis de l'avenir. La CEO de Goldman & Sachs évoque un ralentissement significatif de l'économie américaine et mondiale pour diverses raisons. Entre autres les cycles naturels de progression et de reflux, la crise de l'énergie, les caprices du climat qui n'a pas été avare en tornades, inondations et autres calamités, puis la tragédie du Japon qui a pesé lourdement sur l'économie américaine. Ajoutez la crise de l'immobilier et l'éclatement de la bulle immobilière et vous aurez pour résultat un taux de croissance rachitique situé entre 2 et 3 % pour l'économie mondiale. Ce taux vient d'ailleurs d'être revu légèrement à la baisse par la FED et le FMI. Le chômage, qui est un majeur problème aux USA, touche surtout les couches sociales les moins instruites. Le fossé entre ceux qui ont reçu une bonne instruction et ceux qui n'en ont pas reçu ne cesse de se creuser. La relation entre le revenu brut des familles et leur niveau d'instruction est significatif. Pour la présidente de Goldman & Sachs, chaque dollar dépensé pour l'éducation des familles est un investissement à long terme dans l'économie du pays qui le réalise. «Eduquer une femme revient à éduquer une famille entière», dit-elle. «Nous avons traversé la pire période de la crise qui se trouve derrière nous. La reprise a commencé il y a deux ans», dit Abby. «Quand vous avez une crise financière qui s'ajoute à la récession, la période de convalescence est plus longue», nous dira plus tard un éminent analyste américain qui souligne également l'extraordinaire degré de flexibilité de l'économie américaine. Retour sur une crise qui continue encore aujourd'hui à mettre en péril l'économie mondiale. C'est en 2006 que l'éclatement de la crise immobilière aux USA entraîne un séisme mondial dévastateur. Voici comment : pour financer leur consommation et l'acquisition de leurs logements, il est de coutume pour les ménages américains de s'endetter lourdement. Pour accéder à des prêts, ces ménages mettent en gage leurs biens immobiliers mais en 2006/2007, le nombre de ces ménages «underwaters» (en faillite) et donc incapables de faire face à leurs créances, atteint un seuil critique. Au cours de l'année 2007, plus de 1,3 million de logements avaient fait l'objet d'une saisie. La vente des biens immobiliers des ménages incapables de rembourser leurs dettes par les organismes prêteurs entraîne une grave crise immobilière. C'est la crise dite des «subprimes». Les sociétés de crédit hypothécaire, tels que Freddie Mac et Fanny Mae, s'effondrent à leur tour entraînant les banques qui les financent dans leur chute. L'effondrement des fonds d'investissements de la banque américaine Bear Stearns puis la chute retentissante de la banque d'investissement Lehman Brothers déclenche la plus grave crise financière et économique depuis le crash de Wall Street de 1929 et la grande dépression de 1930. La crise s'étend à l'Europe à travers le Portugal, l'Irlande et la Grèce. La situation confirme encore une fois que lorsque l'Amérique éternue c'est le monde entier qui s'enrhume. Un monde qui reste à l'écoute de cette économie américaine, véritable engrenage mondial, attendant fébrilement les premiers indices d'une relance ou d'une reprise. Lundi 13 juin, rencontre avec M. Jose Fernandez, secrétaire d'Etat adjoint aux Affaires économiques, énergétiques et commerciales. Sans protocole. Dans une salle de cours de la Columbia School of Journalism. Pendant près d'une heure et demie, le ministre développera les grands axes du nouveau plan américain en matière d'aide et de coopération avec les pays en développement. Ce plan s'articule sur trois phases dont la première est l'autofinancement des besoins liés au développement à travers la mobilisation des recettes intérieures. Comme par exemple d'utiliser les fonds de l'émigration pour l'instruction et l'éducation plutôt que pour la consommation. Les deux autres phases sont liées à l'amélioration de l'exercice de la transparence budgétaire puis de la lutte contre la corruption. M. Fernandez évoquera les accords de libre-échange que son pays essaie d'instaurer avec beaucoup d'autres puis l'aide américaine aux Etats africains pour leur permettre de développer leur agriculture afin de nourrir le monde futur. «It's Shanghai, Mumbai, Dubai or good bye» Mardi 14 juin. Quartiers généraux de Citigroup au 14e étage d'un gratte-ciel sur Lexington Avenue à New York. Carsten Stendevad, directeur général de Financial Strategy Group, au sein de Citigroup, une banque new-yorkaise qui compte plus de 100 filiales dans le monde, pense qu'il faudrait patienter encore trois à quatre années pour que les banques puissent retrouver le taux de croissance qui était le leur avant la crise. Tout le monde se tourne aujourd'hui vers les marchés émergents qui sont entrain de booster la croissance mondiale. La devise est celle-ci : «Aujourd'hui il y a un important cashflow (flux de trésorerie) de la Chine vers l'Afrique et l'Amérique latine et qui transite par Londres et New York. Pour tout vous dire nous restons très optimistes en ce qui concerne l'économie mondiale», dit-il. Francesco Vanni d'Archirafi, responsable de direction au sein de Citi GTS (Global Transaction Services), lui, évoque la globalisation et ce business qui se fait aujourd'hui principalement au delà des frontières. La nouvelle frontière américaine est désormais la numérisation. Une révolution : «Les réseaux sociaux sont en train de changer la façon dont les gens font des affaires», soutient-il en avouant que les banquiers tentent de copier le succès des réseaux sociaux pour s'adapter à ce monde qui bouge sans cesse et repousse les frontières. Le monde devient un vaste réseau de villes et non de pays. Ces villes, en particulier dans les pays émergents, ont un effet multiplicateur sur le rythme de la mondialisation, la numérisation et la croissance. 17 des 20 plus grandes villes du monde se trouvent désormais dans les pays émergents. Les pays émergents sont en train de changer l'équilibre du monde car ils sont devenus un formidable moteur de croissance. D'où la nouvelle devise de tous les financiers et banquiers du monde : «It's Shanghai, Mumbai, Dubai or good bye !». La révolution numérique est en train de remodeler le monde. Google, Tweeter, facebook, Linkedln, YouTube sont passés par là. Avec un simple téléphone portable on peut acheter et payer en ligne en se jouant des frontières et des fuseaux horaires. Notre interlocuteur termine son exposé par ces mots de Abraham Lincoln, 16e président des Etats-Unis : «La meilleure façon de prédire l'avenir est de le construire ensemble.»