Le risque de défaut de paiement qui guette les structures fédérales aux Etats-Unis justifie les commentaires les plus apocalyptiques pour le devenir de l'économie mondiale. La dette souveraine US vient de dépasser les 14 400 milliards de dollars ; le plafond de la dette fixé par le Congrès américain étant de 14 294 milliards de dollars, s'il n'est pas relevé avant le 2 août, le Trésor américain n'aura plus le droit d'emprunter sur les marchés. Les marchés ont été pris de fébrilité avec comme toile de fond la crainte d'une récession à double creux induite par l'inflation dans les pays émergents et la crise des dettes souveraines dans la zone OCDE. Le blocage des discussions entre la Maison-Blanche et le Congrès autour d'un hypothétique relèvement du plafond de la dette ne fait qu'affoler encore plus les marchés. Les agences de notation financière Moody's et Standart&Poors ont d'ailleurs adressé des avertissements à ce sujet et mis la dette américaine sous surveillance. La presse financière internationale ne s'est pas faite prier pour verser dans l'alarmisme, évoquant une dépréciation des T-Bonds. Ce qui n'a pas manqué de susciter l'inquiétude dans des pays ayant placé une partie de leurs réserves de changes en titres souverains, notamment en Algérie. D'après les chiffres avancés par le ministre des Finances, 80% des réserves de changes de l'Algérie sont déposées à l'étranger, soit 125,6 milliards de dollars. Une fraction de ces fonds l'est dans les banques internationales cotées AAA, les autres en bons de Trésor US et dans des Banques centrales européennes, ventilées à 45% en dollars et 45% en euros, le reste en yens et en livres sterling. La question s'est posée, dans ce contexte, d'elle-même : les placements de l'Algérie en T-Bonds présentent-ils un risque ? Si depuis quelques jours les commentaires alarmistes ont fusé, plusieurs experts en économie et finance plaident pour l'ouverture d'un débat serein autour de la gestion des 160 milliards de dollars constituant les réserves de changes. S'il n'est pas question de remettre en cause la solidité des bons du Trésor US, ils sont unanimes : l'opacité qui entoure l'action de la Banque d'Algérie à ce sujet ainsi que la nature des placements suscitent des doutes sur les rendements supposés. Le docteur es sciences économiques Camille Sari parie sur la conclusion d'un accord entre l'Administration Obama et le Congrès avant les délais impartis. Mais en parallèle, il dresse un réquisitoire contre les prévisions alarmistes et ce qu'il appelle «les criminels en col blanc qui profitent des techniques les plus sophistiquées pour spéculer en toute impunité sur les économies et les finances publiques». Il pense toutefois que les Etats-Unis ne pourront indéfiniment faire appel à l'épargne mondiale au risque de rembourser leurs débiteurs en monnaie de singe. Il précise dans ce sens que «la FED a accepté de racheter des bons du Trésor US à hauteur de 300 milliards de dollars. Cela revient à une monétisation de la dette et à une création monétaire ex nihilo». Ce qui revient à dire que c'est un système d'accumulation des actifs financiers basé sur le dollar. Noureddine Leghliel, analyste boursier à la banque d'affaires suédoise Carnegie, a dans ce sens avancé de nombreux arguments étayant la solidité des bons du Trésor US. Il s'agit en premier lieu de l'indicateur de solvabilité notamment via les CDS (Credit Default Swap), une prime de risque payée par le créancier pour sécuriser son argent. A travers l'indice Markit, on constate que le CDS américain de 5 ans est mieux coté que les titres allemands ou encore français. M. Leghliel évoque également l'indicateur des taux d'intérêt. Selon lui, si l'Etat fédéral américain était sur le chemin d'une défaillance de paiement, on aurait certainement assisté à un effondrement des prix des contrats à terme (futurs) des bons du Trésor américain, puisque les taux d'intérêt seraient sans aucun doute puissamment propulsés vers le haut, comme ce fut le cas avec les taux d'intérêt grec et irlandais. Or, il n'y a pas d'effondrement des prix ni de grand écart entre le prix du bon du Trésor et son futur ni de grand écart entre les futurs eux-mêmes. Il s'agit également de la situation du dollar qui ne semble pas être affectée par les prévisions défaitistes de la presse financière et des agences de notation. M. Leghliel s'appuie également sur l'américanisation de la dette américaine qui reflète l'attractivité des bons du Trésor US aux yeux des investisseurs locaux ainsi que la bonne santé financière des entreprises américaines qui affichent d'excellents résultats trimestriels allant souvent jusqu'à battre les pronostics les plus optimistes des analystes financiers. Le débat absent en Algérie Toutefois, l'analyste boursier émet un bémol concernant l'opacité de la gestion des placements par la Banque d'Algérie. Il s'agit en premier lieu de la nature et du montant des placements susceptibles de donner des indications sur la consistance des rendements. A titre d'exemple, il précise qu'en mars 2006, l'ancien conseiller du président américain Bill Clinton, Gene Sperling, avait déclaré : «L'Algérie verse la moitié de son PIB pour l'achat de bons du Trésor US.» En mai dernier, le rapport mensuel de la FED indiquait que la valeur des bons du Trésor détenus par tous les pays de l'OPEP s'élève à 229 milliards de dollars. C'est cette même opacité qui dérange l'économiste Abderrahmane Mebtoul, qui estime intéressant d'avoir des précisions à propos de la ventilation exacte des placements, avant et après la crise d'octobre 2008, entre les banque internationales et les bons du Trésor, car certaines banques dites AAA ont été déclassées après la crise. Il va même jusqu'à mettre en doute les rendements annoncés par le gouverneur de la Banque d'Algérie qui table sur un rendement de plus de 4%, ramenant presque 5 milliards de dollars d'intérêts par an. Il estime qu'au contraire, les dividendes tirés des placements, à défaut d'être négatifs, sont pratiquement nuls. Ce qui équivaudrait, selon lui, à dire que «l'Algérie finance le développement d'autres pays». M. Mebtoul saisit ainsi l'occasion de relancer le débat sur les fonds souverains pour l'achat d'actions et d'obligations afin d'avoir un rendement beaucoup plus élevé. Un point de vue qui ne suscite pourtant pas l'assentiment de l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, Abderrahmane Hadj Nacer, qui estime que la création d'un fonds souverain doit obéir non seulement à une loi mais à une gestion ; or, la Banque d'Algérie est dans l'incapacité de gérer un tel fonds. Ce qui explique, selon lui, la gestion paternaliste et prudente des réserves de changes. L'autorité financière est pour l'heure obnubilée par la sécurité de ses placements, quitte à négliger leur rendement. L'institution de Mohamed Laksaci ne recherche donc pas de rendements importants mais des placements sûrs. Il a estimé dans ce sens qu'au lieu de centrer le débat sur la Banque d'Algérie, il faut remettre en cause toute la politique financière du pays. Camille Sari pense de son côté que si l'Algérie avait misé sur des valeurs stratégiques internationales – 30 milliards de dollars en décembre 2008 – par le biais d'un fonds souverain, elle «aurait non seulement gagné le double mais aussi occupé des positions stratégiques dans les conseils d'administration de sociétés leaders dans leurs secteurs et pérennes». Il a ainsi rappelé que la réponse officielle à sa proposition est que «l'Algérie n'a pas les compétences humaines pour gérer cette action. Mais les compétences maghrébines, on les trouve. Il faut leur faire confiance», a-t-il plaidé.